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A propos des résultats des réunions du ministre de la Défense de la République de Corée à Singapour

Konstantin Asmolov, 23 juin 2023

Début juin 2023, le 20 e Forum international sur la sécurité en Asie « Dialogue Shangri-La » s’est tenu à Singapour, au cours duquel beaucoup de choses intéressantes pour l’auteur ont eu lieu.

Une nouvelle étape dans la confrontation entre les États-Unis et la République Populaire de Chine

On croit que le dialogue entre les deux pays est au point mort depuis que le secrétaire d’État américain Anthony Blinken a annulé sa visite en Chine en février 2023 après qu’un présumé aérostat espion chinois a été suivi et abattu au-dessus des États-Unis. Des traces en étaient visibles lors du forum.

Tout d’abord, le ministre de la Défense des États-Unis, Lloyd Austin, a fait grief à la Chine pour le refus de négocier sur Taïwan et les différends territoriaux en mer de Chine Méridionale : « Je suis profondément préoccupé par le fait que la RPC ne souhaite pas s’engager plus sérieusement dans l’amélioration des mécanismes de gestion de crise entre nos deux forces armées… Plus nous parlons, plus nous pouvons éviter les malentendus et les erreurs qui pourraient conduire à une crise ou à un conflit. »

En réponse, le chef adjoint chinois de l’état-major interarmées du Conseil militaire central de Chine, le lieutenant-général Jing Jianfeng, a agi en riposte, tout en affirmant que ce sont les États-Unis qui sont responsables de la perturbation du dialogue, qui augmentent des sanctions contre les agents publics chinois et déstabilisent la région de l’Asie-Pacifique avec leur présence militaire. Dans le même temps, « la Chine attache une grande importance au développement des relations militaires sino-américaines, et notre interaction et communication n’a jamais été suspendue ».

Jing a également accusé Washington de rallumer des tensions après avoir établi des relations diplomatiques directes avec Taiwan tout en augmentant les ventes d’armes. « Les États-Unis utilisent Taïwan pour contenir la Chine tandis que les forces séparatistes taïwanaises s’assurent du soutien des États-Unis pour avoir de l’indépendance. »

Des difficultés ont accompagné aussi l’interaction directe des ministres. Au début, le ministre chinois de la Défense Li Shangfu (qui a été sanctionné par les États-Unis) a rejeté une invitation à rencontrer Austin : les généraux se sont serrés la main en marge mais n’ont pas eu de négociations détaillées, Austin a noté par la suite qu’« une poignée de main chaleureuse au dîner ne remplacera pas un entretien significatif. » Le 6 juin, Li Shangfu a eu une courte réunion avec Lloyd Austin, cependant, les parties n’ont pas réussi à trouver de compromis.

Ensuite, Li Shangfu a déclaré que les États-Unis utilisaient une politique de dualité de critères pour atteindre leurs propres objectifs. Li Shangfu a souligné que le concept du soi-disant ordre international fondé sur des règles ne contenait aucune mention de ce que sont ces règles et qui les établit.

De plus, Li Shangfu a noté que Pékin se battrait pour protéger la terre qu’il considère comme chinoise : « Taïwan est une partie inaliénable de la Chine, et ce sont les Chinois qui doivent trouver une solution du problème taïwanais. Toute action d’États étrangers visant à violer le principe d’une seule Chine est absurde et dangereuse ». Jing Jianfeng a également souligné : « Il n’y a qu’une seule Chine, et Taïwan est une partie inaliénable du territoire chinois », et il a ajouté que le principe d’une seule Chine reflétait le consensus général de la communauté internationale.

Entre temps, le chef du MAE taïwanais, Joseph Wu, a déclaré que les États-Unis non seulement fournissaient des armes et du matériel militaire à Taïwan, mais participaient également activement à la formation du personnel militaire taïwanais. Il a noté que les formateurs américains avaient enseigné au personnel de l’armée du pays de nouvelles tactiques de combat moderne, ainsi que de modernes types d’armes. Joseph Wu a également déclaré que Taiwan était prêt à se défendre contre l’invasion de la Chine, que les États-Unis entrent ou non dans ce conflit.

Fait intéressant, les pourparlers entre Lee Shangfu et Lee Jong Sup se sont bien déroulés, et lors d’une réunion avec des journalistes après les pourparlers, le ministre sud-coréen de la Défense « a souligné le rôle constructif de la Chine pour assurer la paix et la stabilité dans la péninsule Coréenne, et la Chine partage cette opinion ».

Lors de la réunion du 3 juin, les ministres sont convenus sur la nécessité de développer des relations dans des conditions du respect mutuel et de reprendre les échanges de haut niveau puisque la situation épidémique dans les deux pays s’est améliorée. Le chef du ministère sud-coréen de la Défense a noté que les provocations constantes du Nord constituaient une menace sérieuse pour la paix dans la péninsule Coréenne et dans la région, mais à en juger par l’absence de mention de la réponse chinoise dans les médias de la République de Corée, cette thèse n’a pas rencontré la compréhension.

Et ce n’est pas étonnant, car lors de son discours au forum, Lee Jong Sup a attaqué la Chine et la Russie avec des critiques déguisées pour avoir négligé ses devoirs de tenir la RPDC responsable de ses actions et provocations illégales en cours. Comme le président Yoon Suk Yeol plus tôt, Lee n’a pas mentionné directement la RPC et la Fédération de Russie, indiquant « un certain nombre de pays disposant d’un droit de veto en tant que membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU qui ignorent les actions illégales de la Corée du Nord, qui violent l’ordre basé sur les règles ce qui crée des trous dans les sanctions imposées par une organisation internationale contre la RPDC. En outre, Lee a souligné l’importance pour la communauté internationale de démontrer « une position forte et unie à travers l’adoption des résolutions du CSNU ce qui permettra par des actions conjointes de déjouer les projets de Kim ». Selon le ministre, les développements des moyens de lancement d’armes atomiques de Pyongyang accroissent les craintes concernant la propagation des armes nucléaires, ce qui conduit finalement à une course aux armements régionale.

Accord sur l’échange de données d’avertissement d’attaque de missile en temps réel

Critiquant la RPDC, Lee Jong Sup a souligné l’importance de renforcer la coopération bilatérale en matière de sécurité entre le Japon et la Corée du Sud, ainsi que la coopération trilatérale entre la Corée du Sud, le Japon et les États-Unis. Telle est, à son avis, « une mesure inévitable prise pour protéger la liberté régionale et le monde contre les menaces nucléaires et de missiles nord-coréens avancés, qui ébranlent profondément la structure de la sécurité régionale ».

Un pas réel vers le renforcement de cette coopération est devenu l’accord conclu lors de la réunion des ministres de la Défense des trois pays, Lee Jong Sup, Lloyd Austin et Yasukazu Hamada, tenue le 3 juin. Conformément à celui-ci, au cours de l’année 2023, la République de Corée, les États-Unis et le Japon organiseront l’échange de données sur les lancements de missiles nord-coréens en temps réel, pour lequel les trois pays tiendront des négociations au niveau opérationnel dans un proche avenir.

On suppose que cette décision étendra considérablement les capacités de détection et d’évaluation des missiles de la RPDC, car les États-Unis et la République de Corée communiquent à ce sujet via le Centre de commandement des opérations militaires de Corée (KTMO-CELL) et le Centre de contrôle des opérations USFK (TMO-CELL). Un système d’échange d’informations en temps réel a également été établi entre les États-Unis et le Japon, mais en raison du « tribalisme anti-japonais », il n’y a pas de mécanisme direct pour l’interaction des Coréens et des Japonais entre eux. Jusqu’à présent, l’échange d’informations a été effectué via les États-Unis par un Accord de l’échange d’informations entre les États-Unis, la République de Corée et le Japon (TISA) du 2014, qui n’est pas effectif en temps réel. Actuellement, il est prévu de construire un réseau distinct d’échange de données en temps réel, dont l’élément central sera le Commandement indo-pacifique américain à Hawaï. Il est probable que la composante satellite y sera activement impliquée. On suppose que le nouveau système transmettra des paramètres tels que le point de lancement prévu du missile, des données sur la trajectoire de vol et le type de missile, le point final du vol. Et bien qu’il soit déclaré que le système ne serait pas utilisé contre des pays autres que la RPDC, c’est l’occasion pour Moscou et Pékin de bien réfléchir.

A part cela :

  • Lee, Austin et Hamada « ont catégoriquement condamné le récent lancement par la Corée du Nord d’un missile balistique à longue portée – sous le couvert d’un soi-disant satellite – comme une grave violation des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU qui interdisent tout lancement utilisant la technologie des missiles balistiques… Avec le renforcement de la coopération trilatérale, ils sont convenus de réagir fermement en coopération avec la communauté internationale ».
  • Les trois parties sont convenues de tenir régulièrement des « exercices défensifs » sur la défense anti-sous-marine et antimissile maritime, ont confirmé l’accord sur la reprise rapide des exercices maritimes et la lutte contre la piraterie, comme convenu lors des pourparlers de travail en avril, selon le rapport.
  • Dans le cadre d’une réunion bilatérale entre Lee Jong Sup et Lloyd Austin, un accord a été atteint pour mener en commun des recherches et des études du deuxième étage du lanceur nord-coréen « Chollima-1 », qu’on envisage soulever du fond de la mer Jaune. Un tel schéma d’interaction n’est pas nouveau pour les alliés – en 2012, les États-Unis et la République de Corée ont formé un groupe conjoint d’experts pour étudier les fragments du missile « Unha-3 », qui comprenait des spécialistes de l’Institut de recherche pour la défense (ADD) et des experts civils, et du côté des Américains c’étaient des experts sur les missiles de l’URSS et de l’Iran.

Séoul développe les relations bilatérales

En plus des réunions avec ses homologues des États-Unis, du Japon et de la République de Corée, Lee Jong Sup a mené des négociations fructueuses avec des représentants d’Allemagne, du Canada et des Pays-Bas.

Lors d’une réunion avec son homologue néerlandaise Kaisa Ollongren, les parties ont parlé de la coopération en matière de la défense, y compris la coopération dans le cyberespace et les efforts pour signer un memorandum bilatéral sur la coopération en matière de la défense, tandis qu’Ollongren a exprimé l’espoir de développer davantage la coopération bilatérale dans le domaine des armements.

Son homologue canadienne, Lee Anita Anand, a exprimé la volonté du Canada de contribuer activement à la paix et à la stabilité dans la péninsule Coréenne : les parties ont noté que leurs pays coopéraient étroitement dans les domaines de la défense et de la sécurité, comme l’imposition de sanctions contre la Corée du Nord, et sont convenue d’appliquer des efforts actifs pour élargir la coopération dans des domaines tels que l’industrie des armes. Le résultat de ces conversations seront probablement de nouveaux accords pour la vente d’armes sud-coréennes à ces pays – Séoul a l’intention de passer de la huitième à la cinquième place.

Le 4 juin, les ministres de la Défense sud-coréen et allemand Lee Jong Sup et Boris Pistorius ont procédé aux entretiens pour délibérer des moyens de renforcer la coopération dans l’industrie militaire et d’autres domaines de la sécurité. C’était la première réunion des ministres de la Défense des deux pays depuis mai 2021, et les deux ministres ont noté que les deux pays étaient traditionnellement des États amis qui entretenaient des relations de coopération depuis longtemps, et sont convenus de renforcer la coopération en matière de la défense pour  » l’ordre basé sur les règles ».

Une nouvelle tentative de pression sur la Corée du Sud de la part des États-Unis et des pays de l’OTAN afin de fournir des armes et des munitions à l’Ukraine.

En marge de l’événement, Josep Borrell, Haut représentant de l’Union Européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a rencontré le ministre sud-coréen de la Défense Lee Jong Sup, à la suite de quoi, le 3 juin 2023, Borrell a écrit dans son Twitter : « Rencontre réussie avec le ministre coréen de la Défense Lee Jong Sup au #SLD23. Nous avons partagé la préoccupation concernant les provocations en cours de la RPDC et parlé des besoins de l’Ukraine en munitions ».

Les médias occidentaux ont immédiatement assimilé « ont parlé des besoins en munitions de l’Ukraine » à « se sont mis d’accord sur la livraison des armes et des munitions à l’Ukraine », mais le 4 juin 2023, dans un communiqué de presse, le ministère de la Défense de la République de Corée a déclaré que les paroles de Borrell dont lui et Lee avaient délibéré des livraisons de munitions à l’Ukraine pour la guerre contre la Russie n’étaient pas vraies. C’est pour cela que l’auteur perçoit la situation comme une autre tentative de l’Occident de faire un vœu pieux, ne laissant à Séoul aucun choix. Bien que délibérer le sujet ne signifie pas se mettre d’accord, et il semble que Séoul ait de nouveau répondu « non » ou « pas maintenant » à une nouvelle tentative de pression.

Pour le reste, le sujet de la crise ukrainienne a été entendu, mais au niveau et sur fond de condamnations rituelles de l’Expédition militaire spéciale, sans lesquelles les représentants de l’Occident au sens large ne pourraient pas se passer. Ainsi, dans une déclaration à l’issue de la réunion trilatérale, Lee, Austin et Hamada ont noté « les actions cruelles et injustifiées agressives de la Russie, qui constituent une grave violation de l’intégrité territoriale et de la souveraineté, et sapent toute la structure de l’ordre mondial ».

Parallèlement, le 5 juin, le président d’état-major inter-armes sud-coréen, Kim Seung-Kyom, a rencontré l’inspecteur général des Forces armées allemandes. Carsten Breuer pour discuter de la sécurité régionale, de la guerre en Ukraine et de la coopération bilatérale. Les parties ont exprimé leur préoccupation liée à la guerre prolongée en Ukraine et sont convenues d’unir leurs forces pour assurer la stabilité en Europe et la paix dans le monde entier.

Cependant, la remarque du Premier ministre estonien Kai Kallas a sonné sur un autre ton, selon laquelle l’Ukraine ne pourra pas rejoindre l’OTAN tant que les actions de guerre se poursuivront sur son territoire : « Nous soutenons la voie de l’Ukraine vers l’adhésion à l’OTAN. Tout le monde comprend que cela ne peut pas arriver tant que la guerre continue. Mais nous aurons besoin des définitions plus précises que celles de Bucarest ».

 

 

Konstantin Asmolov, candidat en histoire, chercheur scientifique principal au Centre d’études coréennes de l’Institut de la Chine et de l’Asie actuelle de l’Académie russe des sciences, spécialement pour le magazine en ligne «New Eastern Outlook.».

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