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Fin du monde unipolaire

Veniamin Popov, 17 juin 2023

Fin du monde unipolaire

L’ordre mondial est au bord des transformations radicales.

Il y a 30 ans, les puissances occidentales ont vu dans la dissolution de l’Union Soviétique, survenue à la suite de ses faiblesses et de ses erreurs internes, une opportunité sans précédent de dominer dans le monde par tous les moyens, en réprimant d’éventuels concurrents.

L’un des traits marquants de l’époque actuelle est peut-être la réalisation de cette vérité par les pays du soi-disant « sud mondial ».  Ils ont compris que les outils de cette répression étaient la diabolisation, l’isolement, l’intervention, le sabotage politique, la provocation de crises, les sanctions et les violations flagrantes du droit international, y compris des incursions militaires ouvertes.

Ce sont les paroles prononcées récemment par le président érythréen I. Afwerki.

La stratégie des États-Unis visant à approuver et renforcer l’hégémonie de Washington a échoué, elle est rejetée par la majorité absolue de la population du monde entier. Cette idée a été clairement énoncée par le journal égyptien « Al Ahram » le 30 mai de cette année.

Les idées du président des États-Unis Biden sur la division de tous les pays en celles démocratiques et autoritaires démontrent de plus en plus leur artificialité et incapacité. L’exemple récent le plus frappant est la victoire écrasante du président turc Erdogan aux élections de mai. Les médias américains ont même noté que « l’état terrible de l’économie turque, ainsi que les tremblements de terre en février, qui ont fait environ 50 000 morts et des dizaines de milliers de blessés », auraient dû conduire à « une défaite écrasante aux élections ».  A cet égard, l’observateur du New York Times Bret Stevens est surpris de conclure qu’« il y a des choses qui excitent les gens plus que leur salaire ».

De plus en plus de pays émergents se rebellent ouvertement contre le dictat de l’Occident : La Tunisie, un petit pays méditerranéen confronté à des difficultés économiques considérables. En octobre 2022, un accord de principe a été conclu avec le Fonds Monétaire International sur un programme d’aide de près de 2 milliards de dollars. Les négociations avec le FMI piétinent depuis plusieurs mois en raison des demandes de restructurer les pouvoirs publics et d’annuler les subventions aux biens de première nécessité. Le président tunisien Kais Saied, afin d’éviter le « dictât étranger », a proposé de frapper d’un impôt les citoyens les plus riches, c’est-à-dire prendre l’excédent d’argent des grandes fortunes et le distribuer aux pauvres.

Le mécanisme de solidarité des pays émergents commence à fonctionner de plus en plus activement : La Banque africaine d’importation-exportation a accordé à la Tunisie un prêt d’un demi-milliard de dollars.

Washington a exercé une pression énorme sur les états arabes, en exigeant qu’ils ne restituent pas la Syrie à la Ligue des États arabes. Néanmoins, la normalisation des relations avec Damas prend de l’ampleur.

Les états arabes, aussi bien que d’autres pays du Sud arabe, comprennent qu’ils doivent défendre eux-mêmes leur sécurité et leurs intérêts sans tourner la tête vers Washington, d’où la réconciliation de l’Iran et de l’Arabie Saoudite et le début de la discussion sur les systèmes de sécurité dans le golfe Persique sans les États-Unis.

L’exemple le plus évident d’un rôle plus indépendant pour les États du sud mondial est leur refus de se joindre aux sanctions anti-russes de l’Occident. Un fait significatif, aucun pays musulman n’a accepté de soutenir les mesures restrictives des puissances occidentales contre Moscou malgré les pressions de Washington. Lors du conflit russo-ukrainien, le commerce de la Russie avec la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Iran et de nombreux autres pays en voie de développement a beaucoup augmenté.

La récente réunion de l’association OPEP+ a de nouveau démontré que la pression de l’Occident n’a pas donné de résultats attendus : on n’a pas réussi à bagarrer la Russie et l’Arabie Saoudite. D’autant plus, il a été décidé de maintenir le niveau de production de pétrole jusqu’à la fin 2024.

Dans une enquête réalisée en 2022 par le Centre de recherche arabe de Doha, dans 14 pays arabes, 78 % des personnes interrogées ont répondu que les États-Unis étaient la plus grande source de menaces et d’instabilité dans la région.

Dans le même temps, la majorité qualifie les États-Unis de « la puissance impérialiste hypocrite qui ne défend qu’en paroles les droits de l’homme et la démocratie ».

La presse égyptienne a dit que certains états non alignés ont décidé de créer leur propre association TRANSACTIONAL-25 vers un monde multipolaire, ils ont décidé de rester neutres avec l’Ukraine et de ne pas s’allier avec les États-Unis, ni avec la Chine ou la Russie, ils soulignent qu’ils accordent la priorité à leurs propres intérêts et préoccupations nationaux.

Les acteurs les plus importants du t25 sont le Brésil, l’Inde, l’Indonésie, la Turquie, l’Afrique du Sud et l’Arabie Saoudite.

Les pays non alignés ont une confiance limitée pour les institutions de l’ordre international dirigé par les États-Unis après 1945, comme le cas de FMI. Le président du Brésil Luiz Inacio Lula da Silva fait la promotion de son « club de la paix » pour mettre fin à la guerre en Ukraine ainsi que pour montrer l’importance croissante des pays non alignés. L’Inde veut également profiter de sa présidence du G20 cette année pour le lobbying du sud mondial.

Cependant, les nouvelles tendances de l’ordre mondial actuel se manifestent le mieux dans le désir de nombreux pays émergents à rejoindre BRICS ou à s’entendre avec cette association sur des actions communes. Dans le même temps, l’idée la plus intéressante est la dédollarisation du monde actuel, c’est-à-dire le passage aux règlements en monnaies nationales. Dans les capitales de BRICS, on discute de plus en plus l’idée de créer une nouvelle monnaie commune.

A l’heure actuelle, presque chaque jour apporte de nouvelles preuves d’une politique plus indépendante des états en voie de développement. Récemment, le 42e sommet de l’ASEAN en Indonésie a souligné l’intention de la région de ne pas devenir un intermédiaire entre les États-Unis et la Chine. La décision du sommet de résister aux pressions de Washington pour contenir la Chine dans la région indo-pacifique signifie que l’ASEAN ne sera pas un pion dans la géopolitique américaine.

Des voix raisonnables commencent à résonner en Europe occidentale : la cheffe du Rassemblement national français, Marine Le Pen, a déclaré que la Crimée appartenait, bien entendu, à la Russie, et le Parlement suisse a voté contre la livraison d’armes au régime de Kiev.

Nul doute que dans un proche avenir nous verrons de nouveaux changements positifs dans le rapport des forces sur la scène mondiale : nos succès dans la conduite d’une opération militaire spéciale en Ukraine accéléreront sans doute ce processus.

 

Veniamin Popov, directeur du Centre pour le partenariat des civilisations à l’Institut d’État des relations internationales de Moscou (U) du Ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire, candidat en sciences historiques, pour le magazine en ligne «New Eastern Outlook.»

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