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Loi anti-déforestation de l’UE et son impact sur le Sud global et les exportations brésiliennes

Ricardo Martins, octobre 06

Dans cet article, j’explique comment la loi anti-déforestation de l’UE impacte le Sud global, notamment les exportations brésiliennes vers l’Union européenne (UE) et l’accord de libre-échange entre le Mercosur et l’UE. Deux ministres brésiliens ont protesté, qualifiant cette loi d’unilatérale et punitive, et dénonçant ses aspects extraterritoriaux.

Loi anti-déforestation de l'UE et son impact sur le Sud global

Qu’est-ce que la loi anti-déforestation de l’UE ?

La loi anti-déforestation de l’UE est un règlement approuvé le 6 décembre 2022 et qui entrera en vigueur à la fin de cette année. Elle pourrait entraver les échanges commerciaux de l’UE avec le Sud global et la signature de l’accord de libre-échange Mercosur-UE, en discussion depuis plus de vingt ans. La loi, qui interdit l’importation de produits liés à la déforestation, s’inscrit dans le cadre du Green Deal européen (visant la neutralité climatique d’ici 2050) et cherche à protéger les forêts mondiales en veillant à ce que les produits vendus sur le marché européen ne contribuent pas à la destruction des forêts.

La législation européenne cible sept produits de base : le cacao, le café, le soja, l’huile de palme, le bois, le caoutchouc et le bétail (et leurs dérivés, tels que la viande et le cuir). Ces produits feront l’objet de contrôles rigoureux pour garantir que leur production n’a pas causé de dommages aux forêts.

Contexte de la loi

Historiquement, les importations de l’UE ont été un moteur important de la déforestation mondiale. Selon une étude de KPMG Belgique, entre 1990 et 2008, environ 36 % de la déforestation mondiale liée aux produits agricoles et plus de 25 % liée à la production de bétail étaient attribués aux importations de l’UE. La loi, selon l’UE, vise à atténuer ces impacts en régulant la chaîne d’approvisionnement européenne de manière plus durable et en assurant la traçabilité des produits grâce à des technologies comme l’imagerie satellitaire et la géolocalisation.

Les produits et leurs dérivés (tels que les cosmétiques, les meubles, le chocolat, etc.) devront passer par un processus de diligence rigoureux et se conformer aux nouvelles exigences de traçabilité et aux normes environnementales. Les entreprises devront prouver que leurs produits n’ont pas été fabriqués dans des zones déboisées après le 31 décembre 2020.

La loi contient des aspects extraterritoriaux qui sont contraires au principe de souveraineté, en plus d’augmenter les coûts de production et d’exportation, en particulier pour les petits producteurs

Cette législation affecte des produits provenant de pays comme le Brésil (bœuf et soja), l’Argentine et le Paraguay (soja et bœuf), l’Indonésie et la Malaisie (huile de palme), le Pérou (cacao), les pays d’Afrique de l’Ouest (cacao), les pays du bassin du Congo (bois), entre autres.

Impact sur les exportations brésiliennes

Selon une étude de l’Institut brésilien de recherche économique appliquée (IPEA), la loi anti-déforestation de l’UE (EUDR – European Union Deforestation Regulation) a des implications importantes pour les exportations brésiliennes, en particulier dans les secteurs du soja et du bœuf, très sensibles aux nouvelles exigences environnementales. Selon l’étude, les principaux effets sont les suivants :

(i) Restrictions à l’exportation : La loi interdit l’importation dans l’UE de produits liés à la déforestation ou à la dégradation des forêts après le 31 décembre 2020. Cela affecte directement les exportations de bœuf et de soja en provenance des zones déboisées après cette date.

(ii) Conformité et certifications : Une grande partie des exportations brésiliennes respecte déjà des normes de durabilité volontaires. Cependant, des régions critiques telles que le Cerrado et l’Amazonie, où la déforestation persiste, seront être impactées.

(iii) Coûts de conformité : La loi impose des exigences strictes en matière de diligence raisonnable, obligeant les exportateurs à fournir des informations sur l’origine des produits et à garantir qu’ils ne sont pas liés à la déforestation. Cela implique des coûts supplémentaires pour assurer la traçabilité et la conformité aux normes de l’UE, ce qui pourrait affecter la compétitivité des produits brésiliens.

(iv) Diversification des marchés : Si les exportations vers l’UE sont entravées, il est possible de rediriger ces produits vers d’autres marchés, tels que la Chine et Hong Kong, qui sont actuellement les plus grands importateurs de produits provenant de ces régions.

Réaction du Brésil à la loi anti-déforestation de l’UE

Le Brésil s’oppose fermement à la loi anti-déforestation de l’UE, demandant sa suspension. Le gouvernement brésilien soutient que cette législation est « punitive » et ne tient pas compte des lois nationales du Brésil visant à lutter contre la déforestation.

En tant que l’un des plus grands fournisseurs de produits ciblés, tels que le bœuf, le soja, le bois et le café, le Brésil craint que la loi crée de nouvelles barrières commerciales, affectant considérablement ses exportations vers l’UE. Le gouvernement brésilien a également souligné que cette loi augmenterait les coûts de production et d’exportation, en particulier pour les petits producteurs.

Deux ministres brésiliens ont réagi en écrivant une lettre aux autorités européennes. Dans cette lettre, signée par Mauro Vieira, ministre des Affaires étrangères, et Carlos Henrique Baqueta Fávaro, ministre de l’Agriculture et de l’Élevage, les ministres ont formulé les demandes suivantes :

Report de la mise en œuvre de la loi anti-déforestation (EUDR) : Le Brésil demande à l’UE de retarder l’application de la loi, prévue pour la fin de 2024, et appelle à une réévaluation urgente de l’approche de la législation en raison de son impact potentiel sur les relations commerciales entre le Brésil et l’UE.

Révision de l’approche unilatérale de la loi : Les ministres estiment que l’EUDR est un instrument unilatéral et punitif qui ignore les lois brésiliennes sur la déforestation. Ils soulignent que la loi présente des aspects extraterritoriaux qui vont à l’encontre du principe de souveraineté, en plus d’augmenter les coûts de production et d’exportation, notamment pour les petits producteurs.

Recherche de solutions collaboratives : Les ministres ont exprimé la volonté du Brésil de continuer à explorer des moyens de renforcer la coopération Brésil-UE en matière de préservation des forêts, tant au niveau bilatéral que dans des forums régionaux et internationaux appropriés. Ils ont exhorté l’UE à coopérer pour relever les défis communs par le dialogue, la coopération et le respect mutuel, évitant ainsi l’imposition de barrières commerciales.

Le chancelier allemand Olaf Scholz renforce la position du Brésil

Les Européens ne sont pas unanimes sur cette question. Le chancelier allemand Olaf Scholz a demandé à reporter l’application de la loi anti-déforestation de l’UE. Il a exprimé cette position lors d’une conférence à Berlin, déclarant qu’il avait déjà présenté ses arguments à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Scholz s’inquiète des exigences peu pratiques et des lourdes charges bureaucratiques imposées aux entreprises allemandes et européennes, qui craint que les exigences de traçabilité et de conformité entravent le commerce et augmentent les coûts. Scholz est conscient que l’une des principales causes de l’impopularité de son gouvernement est l’inflation, en particulier la hausse des prix des denrées alimentaires.

Le chancelier estime que la mise en œuvre pratique de la loi sera difficile, en raison de la complexité des chaînes d’approvisionnement mondiales. Prouver que les produits de base et leurs dérivés n’ont pas été produits sur des terres déboisées après décembre 2020 présente des défis logistiques et technologiques importants, tels que la collecte de données de géolocalisation et d’images satellitaires. De plus, les entreprises devront investir dans de nouveaux systèmes de contrôle, ce qui augmente les coûts et la bureaucratie pour se conformer à la loi.

En concluant, la loi anti-déforestation de l’UE (EUDR) impose des entraves additionnelles importantes aux exportations du Sud global vers l’UE et pourrait compliquer la mise en œuvre de l’accord de libre-échange Mercosur-Union européenne, qui est dans sa phase finale de négociation et pourrait être signé lors du sommet du G20 à Rio de Janeiro les 18 et 19 novembre. Il n’y a pas encore de certitude quant à savoir si le Brésil, principal partenaire négociateur du bloc du Cône Sud, signera l’accord de libre-échange Mercosur-UE dans ces circonstances.

 

Ricardo Martins ‒Docteur en sociologie, spécialisé dans les politiques de l’UE et les relations internationales. Chercheur invité à l’Université d’Utrecht, aux Pays-Bas, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook »

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