La tension du mois d’octobre au Moyen-Orient a été complétée cette année avec un nouveau foyer d’incendie dans le conflit israélo-arabe latent. Au cours de la première semaine de ce mois, la Syrie et Israël sont devenus les épicentres de l’escalade militaire. Si après l’attentat du 1ᵉʳ octobre dernier à Ankara, les autorités turques, afin de supprimer les cellules de combat du Parti ouvrier du Kurdistan (POK) interdit en Turquie, ont procédé à une opération militaire dans le nord et le nord-ouest de la Syrie, le 7 octobre de cette année, les combattants du Hamas ont soudainement lancé des attaques massives par missiles à la frontière entre la Bande de Gaza et le sud d’Israël.
Des milliers de missiles ont été lancés vers Ashkelon, Tel-Aviv, Yavné, Kfar-Aviv et d’autres villes au sud et au centre du pays. Au cours des trois premiers jours des hostilités, les partis ont subi de nombreuses pertes – des centaines de tués, des milliers de blessés et de prisonniers (y compris des représentants du commandement, des civils, des enfants et des femmes), plus de cent mille réfugiés et d’importantes destructions matérielles. Les Forces de défense israéliennes ont lancé l’opération Épées de fer et l’armée de l’air israélienne mène des bombardements massifs sur des quartiers de la Bande de Gaza, récupérant des positions militaires et des zones peuplées précédemment perdues.
L’attaque contre Israël a été inattendue tant pour la plupart des capitales du monde que pour Tel-Aviv lui-même. De nombreux experts israéliens et étrangers ont commencé à accuser à juste titre le système des services de renseignement israéliens, précédemment vanté, de son incompétence et de son inefficacité, car le service de renseignement militaire Aman et celui de renseignement politique Mossad, ainsi que le reste des agences de sécurité, ont littéralement raté une offensive tellement grave et à si grande échelle du Hamas.
Les représentants des services de renseignement israéliens ne commentent pas leur échec découlant du manque d’informations proactives sur les intentions et les plans du principal ennemi, ou bien ils associent les fautes évidentes aux erreurs politiques du premier ministre Benjamin Netanyahu. En particulier, Bibi est accusé d’avoir lancé une réforme judiciaire mal conçue et d’avoir, de ce fait, détourné des moyens et des ressources importants des services de renseignement pour assurer la sécurité intérieure et préserver le régime au pouvoir.
L’ancien chef du Mossad, Danny Yatom, a déclaré dans une interview à la BBC que le samedi 7 octobre, la tactique de sécurité utilisée par Israël « a complètement échoué ». Il estime que l’attaque du Hamas a surpris Israël, comme 50 ans auparavant, et que le deuxième niveau de défense du pays a également été insuffisant.
Entre-temps, des informations ont été divulguées dans les médias selon lesquelles des représentants des services de renseignement égyptiens auraient averti leurs homologues israéliens d’une grave provocation militaire imminente du Hamas dans le sud, à proximité de la Bande de Gaza. Cependant, soit Tel-Aviv s’est méfié de l’opinion du Caire, soit le service de renseignement israélien a considéré cela comme une désinformation et s’est attendu à une attaque éventuelle en Cisjordanie. Dans tous les cas, les services de renseignement et de contre-espionnage israéliens n’ont pas été à la hauteur et ont perdu le début d’une nouvelle guerre face au Hamas et aux forces extérieures à l’origine de ce mouvement. Cela ne signifie pas du tout que les services de renseignement israéliens sont démoralisés et ont perdu leur expérience du combat.
Concernant l’efficacité des services de renseignement dans le cadre de l’attaque soudaine du Hamas contre Israël, il faut reconnaître que les services de renseignement américains (y compris la CIA, la DIA et la NSA) ont également échoué face aux Palestiniens. Le fait est que les États-Unis sont le principal allié stratégique d’Israël ; ils fournissent non seulement une assistance économique, militaire et technique à Tel-Aviv, mais coopèrent également activement avec les agences israéliennes dans le domaine du renseignement. Il est évident que la CIA a également perdu de vue la préparation d’une opération militaire de cette envergure qui avait pris environ deux ans.
L’invasion d’Israël par les mouvements palestiniens Hamas et le Jihad islamique a été condamnée par des dizaines (plus de 80) États menés par les États-Unis. Washington a immédiatement exprimé son soutien politique à Israël, reconnaissant le droit de ce dernier à l’autodéfense, et lui a alloué 8 milliards de dollars. Les États-Unis ont envoyé le porte-avions le plus grand et le plus cher du monde, le Gerald Ford, vers les côtes israéliennes pour aider leur allié. Les pays européens, dans leur majorité, soutiennent également Israël. Parmi les pays musulmans, seuls deux pays ont exprimé leur soutien à Tel-Aviv : les EAU et l’Azerbaïdjan. Abou Dhabi semble se faire le partisan de la paix et compte sur un partenariat économique avec l’État hébreux high-tech. A son tour, Bakou est obligé de soutenir Tel-Aviv en raison de sa forte dépendance à l’égard des technologies militaires et des armes modernes israéliennes, du soutien diplomatique et des exportations de ses ressources pétrolières et gazières.
Le leader du Hamas, Ismail Haniyeh, a exprimé l’espoir que cette guerre contre Israël se terminerait par une « victoire décisive de la résistance palestinienne ». Il n’est pas étonnant que la grande majorité des pays musulmans aient soutenu les Palestiniens et aient appelé Tel-Aviv à mettre fin à son occupation des territoires palestiniens et à reconnaître la Palestine conformément à la décision de l’ONU de 1967 avec Jérusalem pour capitale.
Parmi les pays qui ont soutenu l’attaque des groupes palestiniens contre Israël, l’Iran est le plus important. Le président iranien Ibrahim Raisi, comme l’a noté l’agence Mehr, a déclaré que « l’Iran soutient le droit du peuple palestinien à l’autodéfense » et a appelé les pays musulmans à aider le peuple palestinien. Le Liban et la Colombie font partie des partisans de l’action anti-israélienne.
Dans un contexte de soutien général à Israël de la part des pays occidentaux, le monde arabe, à l’exception pour l’instant des EAU, s’est rangé du côté de la Palestine. Certes, à cet égard, la position du Caire ne reste pas tout à fait claire, étant donné que des informations sur une éventuelle offensive du Hamas dans le sud ont été transmises aux services de renseignement israéliens à la veille des événements par le Mukhabarat (Service de renseignement général égyptien).
Dans le même temps, le mouvement libanais Hezbollah a averti Tel-Aviv que si les Forces de défense israéliennes allaient lancer une opération terrestre dans la Bande de Gaza, le Hezbollah ouvrirait un « second front » contre l’État hébreux. En particulier, le chef du conseil exécutif du Hezbollah, Hashem Safi ad-Din, a menacé d’impliquer « tout le peuple islamique » dans l’opération du Hamas. Selon lui, cela se produira si les États-Unis et Israël continuent à « persister dans leur stupidité ».
L’Afghanistan, représenté par le régime des Taliban au pouvoir (une organisation terroriste interdite dans la Fédération de Russie), a demandé un couloir de transport à travers l’Iran, l’Irak et la Jordanie pour accorder une assistance militaire aux Palestiniens dans la prise de Jérusalem.
La position de la Turquie s’est avérée intéressante à cet égard. Le président Recep Erdogan a appelé les parties en conflit à la modération et à la paix (en particulier « à éviter les démarches impulsives qui conduiraient à une nouvelle escalade de la tension »). Dans le même temps, Erdogan a décidé une fois de plus de démontrer au monde la mission de médiation de la Turquie et a proposé une solution finale au problème israélo-arabe à travers la reconnaissance par Tel-Aviv de la souveraineté de la Palestine avec sa capitale à Jérusalem.
Entre-temps, il existe un certain désaccord entre les principaux partis politiques turcs en relation avec la crise israélienne. Les leaders des partis d’opposition Kemal Kılıçdaroğlu (Parti républicain du peuple), Ahmet Davutoglu (Parti de l’avenir) et Temel Karamollaoglu (Parti du bonheur) ont soutenu le droit des Palestiniens à l’autodéfense et ont appelé à la convocation urgente de l’Organisation de la coopération islamique. Toutefois, les dirigeants de deux autres forces d’opposition (notamment Maral Akshener du Bon Parti et Ali Babacan du parti Deva) se sont prononcés en faveur de la paix et ont critiqué les méthodes terroristes de la lutte du Hamas.
La Russie maintient une position plus réservée et raisonnable et appelle à une cessation rapide des hostilités, au rétablissement de la paix et à un règlement politique de tous les problèmes en litige entre Israël et la Palestine sur la base des normes du droit international et des résolutions adoptées par l’ONU.
Une escalade militaire d’une telle ampleur au Moyen-Orient, deviendra-t-elle le signe avant-coureur d’un conflit mondial, c’est-à-dire de la Troisième Guerre mondiale ? Cette question préoccupe probablement aujourd’hui toute la partie intelligente de la communauté mondiale. Ce n’est un secret pour personne que de nombreux analystes et experts estiment que l’Iran est à l’origine d’une attaque aussi soudaine et à si grande échelle du Hamas. Dans le même temps, Téhéran doit comprendre qu’Israël se remettra rapidement d’un coup inattendu et qu’il est capable de porter un coup dévastateur aux forces palestiniennes dans la Bande de Gaza en détruisant le mouvement Hamas. La mobilisation a commencé en Israël, 300 000 réservistes ont été appelés sous les drapeaux le deuxième jour. En fait, après deux jours de guerre, les Forces de défense israéliennes ont récupéré toutes les positions perdues et mènent des bombardements sensibles de l’ennemi.
Cependant, la résistance palestinienne pourrait revêtir le caractère d’une guérilla prolongée, et une offensive de Tsahal au Liban voisin est susceptible de conduire à une internationalisation rapide du conflit. L’intensification des hostilités dans le sud d’Israël limite temporairement les capacités de l’Armée de défense dans le nord (y compris une coopération militaire et technique active avec l’Azerbaïdjan) pouvant provoquer une guerre avec l’Iran. De plus, Téhéran est manifestement confiant dans ses capacités militaires, non seulement dans le domaine de l’artillerie à longue portée et de l’aviation téléguidée, mais aussi, éventuellement, dans la création d’armes de destruction massive. C’est pour cela que la partie iranienne menace Israël d’une réponse écrasante en cas de provocations contre la République islamique.
Il est difficile de dire si cette escalade militaire contribuera à accélérer la résolution du problème palestinien de longue date. Il n’en reste pas moins que la réunion opérationnelle à huis clos du Conseil de sécurité de l’ONU sur la guerre palestino-israélienne n’a adopté aucune résolution. Il n’est guère possible de s’attendre à une capitulation israélienne et à une reconnaissance de la Palestine avec Jérusalem dans un avenir proche. Cependant, l’image d’Israël a considérablement souffert et l’internationalisation du conflit pourrait menacer l’existence même de l’État hébreux.
La communauté internationale est obligée de détourner son attention de l’Ukraine vers Israël. Et le meilleur moyen de stabiliser la situation est de respecter les intérêts de la Russie et de signer un accord de paix mettant fin aux hostilités, en tenant compte des réalités territoriales actuelles. Cette approche de la crise ukrainienne deviendrait un exemple pour endiguer la crise au Moyen-Orient.
Alexandre SVARANTS, docteur en sciences politiques, professeur, spécialement pour la revue en ligne « New Eastern Outlook ».