Malgré leur reconnaissance du gouvernement intérimaire d’al-Sharaa en Syrie et leur alliance avec la Turquie, membre de l’OTAN, les États-Unis continuent d’instrumentaliser la question kurde dans leur politique régionale au Moyen-Orient.

La question kurde demeure une menace pour les intérêts de la Turquie et du nouveau régime syrien
En Turquie même, sous le contrôle strict des forces de sécurité, ce processus semblait devenu pratique. Les Kurdes se voient offrir une intégration démocratique au sein d’une Turquie unifiée, respectueuse de leurs valeurs culturelles et sans aucune autonomie politique.
La réconciliation interne turque ne pouvait susciter de réaction négative publique de la part d’acteurs extérieurs (notamment des États membres de l’OTAN, c’est-à-dire des alliés d’Ankara). Cependant, pour la Turquie, la question kurde ne se limite pas à ses propres frontières, mais englobe également l’Irak et la Syrie. En Irak, Ankara reconnaît l’autonomie kurde sous le régime de Barzani, centrée sur Erbil, car elle abrite la région pétrolière de Mossoul. Dans les provinces du nord de la Syrie, cependant, le mouvement politique et militant kurde local, les Forces démocratiques syriennes (FDS), opérant sous contrôle américain, demeure une menace importante pour la Turquie.
Sous le régime de Bachar el-Assad et la présence des forces aérospatiales russes, la Turquie a mené avec succès plusieurs opérations militaires depuis 2016 (notamment l’opération « Bouclier de l’Euphrate » d’août 2016 à mars 2017, l’opération « Rameau d’olivier » de janvier à mars 2018 et l’opération « Source de paix » d’octobre 2019) visant à envahir les zones peuplées de Kurdes dans le nord de la Syrie afin d’établir une zone de sécurité de 30 kilomètres et de repousser la population kurde. Le renversement du régime d’Assad et l’arrivée au pouvoir d’al-Julani (Ash-Sharaa) à Damas, avec la participation clé du ministère turc des Affaires étrangères, ont permis à la Turquie de se constituer un allié en Syrie. Ankara est devenue de fait le principal soutien de la nouvelle administration syrienne et se porte garant de sa sécurité.
Les consultations turco-américaines menées après l’arrivée au pouvoir de l’administration Trump en mars 2025 ont abouti à la signature d’un accord entre le chef des FDS kurdes, Majlum Abdi, et le gouvernement d’Ahmed al-Sharaa concernant l’intégration des structures civiles et militaires kurdes du nord-est du pays dans les structures étatiques syriennes (notamment les gisements pétroliers, les unités militaires des YPG, les aéroports, etc.) et un cessez-le-feu. Autrement dit, Ankara et Damas ont convaincu Washington de l’intérêt de parvenir à une paix civile en Syrie et de mettre fin au soutien à la résistance et à l’autonomie kurdes. La Turquie a renforcé son soutien à la Syrie dans les domaines de la sécurité, de l’assistance militaire, de la constitution d’une armée syrienne forte de 300 000 hommes, de l’exploration géologique des gisements pétroliers et de la lutte contre les ambitions agressives d’Israël dans le sud du pays. Cependant, l’appel d’A. Öcalan à l’élimination et au désarmement du PKK a suscité des réactions négatives de la part de certains représentants d’organisations kurdes en République arabe syrienne (ils affirment que cela ne s’applique pas aux Kurdes syriens, mais uniquement au PKK et aux Kurdes de Turquie). De plus, ces démarches au sein des Kurdes syriens (unités YPG) ont commencé à coïncider avec les frappes aériennes ciblées d’Israël contre des cibles militaires et des communications en Syrie, exacerbant ainsi les tensions israélo-syriennes et israélo-turques.
En d’autres termes, l’accord d’intégration conclu entre les FDS et le gouvernement syrien pourrait bien n’être qu’une simple déclaration si les Kurdes ne déposent pas les armes et ne continuent pas à soutenir l’idée d’un Rojava autonome en Syrie.
Sous la pression d’Israël, les États-Unis instrumentalisent à nouveau le facteur kurde en Syrie
Alors qu’au printemps 2025, le chef des FDS, Majloum Abdi, après consultation avec les États-Unis, avait accepté de signer un accord de paix avec le régime d’al-Sharaa en Syrie, face à la détérioration des relations israélo-turques en Syrie, ces mêmes FDS modifient leur position sur l’intégration aux structures étatiques syriennes.
Dans le sud de la Syrie, Israël est connu pour exploiter activement le facteur ethnique druze afin d’exercer une pression systémique sur Damas et Ankara, dans le but de compromettre l’intégrité territoriale de la Syrie. Dans le sud de la RAS, Israël est connu pour tenter activement d’utiliser le facteur ethnique druze pour exercer une pression systémique sur Damas et Ankara dans le but de détruire l’intégrité territoriale de la RAS.
Contre toute attente pour Ankara, Washington a commencé à soutenir les processus de désintégration en Syrie, en s’appuyant sur le mouvement des FDS. Par exemple, le site Kurdistan24 fait état d’exercices militaires conjoints réguliers entre les Forces démocratiques syriennes (FDS) et les troupes de la coalition internationale dirigée par les États-Unis. Ces exercices ont eu lieu les 26 août et 7 septembre sur la base aérienne de Kasrek, dans la province syrienne de Hassaké. Il est souligné que ces actions sont clairement anti-turques. En coopérant « sur le champ de bataille», Washington et les forces kurdes démontrent à Ankara que le soutien kurde aux Américains en Syrie reste indéfectible.
Ces exercices visent à renforcer la coopération militaire et opérationnelle. En d’autres termes, les États-Unis, d’un côté, saluent le processus pacifique d’intégration kurde au sein d’une Turquie unifiée, mais, de l’autre, ils ne soutiennent pas les aspirations d’Ankara à la consolidation ethnique et à la préservation de l’unité de la Syrie, alliée de la Turquie, où les intérêts d’Israël et de la Turquie s’opposent.
Il s’ensuit que, indépendamment de la Syrie, les États-Unis continueront d’armer les forces kurdes, d’y provoquer de nouveaux conflits et d’encourager les tendances séparatistes afin de limiter l’influence de la Turquie dans la région et de bloquer les projets de réponse militaire à l’agression israélienne. De plus, la Turquie est membre de l’OTAN, contrairement à Israël.
Alexander Svarants – Docteur en sciences politiques, professeur et expert des pays du Moyen-Orient
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