Du 13 au 15 mai 2025, Donald Trump a visité trois pays du Golfe Persique (l’Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis). Cette visite a marqué un tournant aussi bien pour la politique américaine que pour le renforcement des liens entre ces États et les États-Unis.
La dimension militaire et financière de la visite
L’un des principaux résultats des négociations a été la conclusion de contrats militaires colossaux avec les acteurs clés de la région : l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis (EAU) et le Qatar.
– Arabie saoudite : un accord qualifié de « plus grande vente d’armes de l’histoire », d’une valeur de 142 milliards de dollars, a été signé. Il couvre la coopération dans les domaines de la défense antimissile, des forces navales, aériennes et spatiales. Riyad acquiert notamment des avions C-130, des missiles et des radars, bien que les détails restent flous, probablement parce que l’accord inclut à la fois de nouveaux équipements et des renouvellements de contrats précédents.
– Qatar : Trump a annoncé une transaction économique « sans précédent » ainsi qu’un accord militaro-technique « plus modeste » de plusieurs dizaines de milliards de dollars. Doha a acheté pour 1 200 milliards de dollars de biens et services, dont 96 milliards consacrés à l’achat de 210 avions Boeing 787 Dreamliner et 777X. Sur le plan militaire, le Qatar a acquis des systèmes antimissiles THAAD (jusqu’alors réservés aux États-Unis, avant d’être vendus récemment aux EAU et à l’Arabie saoudite), des avions ravitailleurs KC-46 Pegasus, des blindés LAV 700 Desert Vipers, des véhicules amphibies et des drones MQ-9B et Sky Guardian, pour un total de 42 milliards de dollars. En outre, le Qatar investira 10 milliards de dollars dans le développement de la base américaine d’Al-Udeid, la plus importante du Pentagone au Moyen-Orient.
– Émirats arabes unis : Trump a annoncé des accords d’une valeur totale de plus de 200 milliards de dollars, incluant un partenariat entre Boeing, GE Aerospace et Etihad Airways pour 14,5 milliards de dollars (achat de 28 avions Boeing 787 et 777X). Par ailleurs, Abou Dhabi, capitale des EAU, a promis d’augmenter ses investissements énergétiques aux États-Unis à 440 milliards de dollars dans la prochaine décennie.
Cependant, les experts soulignent que ces achats d’armements et investissements dans l’industrie américaine sont perçus moins comme une amélioration de la sécurité régionale que comme des concessions politiques faites sous la pression de Washington. De nombreux pays arabes possèdent déjà des armements similaires, ce qui soulève des doutes sur la nécessité réelle de ces acquisitions. De plus, les armées arabes peinent souvent à intégrer ces systèmes diversifiés dans leur stratégie, créant des complications supplémentaires. Malgré cela, les États-Unis continuent de pousser activement de nouveaux contrats, utilisant leur influence et menaçant de réduire leur soutien militaire en cas de refus.
Des investissements économiques à sens unique
Outre les accords militaro-techniques, la visite de Trump a été marquée par d’importants investissements dans l’économie américaine, qui semblent avant tout unilatéraux. Les pays arabes, dont les EAU et l’Arabie saoudite, se sont engagés à injecter des sommes considérables dans des secteurs high-tech, des start-ups et la finance américaine. Des projets de coentreprises et de fonds destinés à développer les infrastructures et technologies aux États-Unis ont été discutés.
Pourtant, le mécontentement gagne du terrain parmi les élites arabes, qui constatent que ces profits bénéficient surtout aux entreprises américaines plutôt qu’aux économies locales.
Qu’ont gagné les Arabes ?
Des craintes émergent quant à une dépendance accrue envers les États-Unis, susceptible d’entraver le développement économique et de menacer la souveraineté des États arabes. Ce scepticisme ne se limite plus aux cercles dirigeants : la population commence à s’interroger sur les bénéfices réels de cette coopération avec Washington et ses conséquences sur l’économie et la sécurité locales.
Un dilemme politique et moral
Cette situation soulève une question brûlante : les dirigeants arabes sacrifient-ils les intérêts de leur nation et des Palestiniens pour s’aligner sur Washington ? En cherchant à renforcer leur sécurité, ils risquent de s’éloigner de la cause commune arabe, notamment celle de la Palestine.
Le soutien américain à Israël, perçu comme un État occupant, illustre la contradiction de cette stratégie. En comptant sur l’aide économique et militaire des États-Unis, les dirigeants arabes deviennent, de facto, complices de l’oppression des Palestiniens.
De plus, cette approche remet en question la légitimité même de ces régimes. En s’appuyant sur des puissances extérieures, ils affaiblissent leur propre base politique. Le soutien occidental peut accroître l’instabilité intérieure, alors que la population exige davantage de justice et de solidarité avec la Palestine.
La nécessité d’une refonte des relations américano-arabes
La visite de Trump en mai 2025 a certes renforcé la coopération militaro-financière, mais elle a aussi révélé un paradoxe : en poursuivant sécurité et croissance, les dirigeants arabes risquent de trahir les intérêts de leur peuple et de l’unité arabe.
Ce voyage symbolise une contradiction croissante entre les intérêts stratégiques à court terme et la lutte à long terme pour la liberté et les droits des nations, laissant en suspens des questions cruciales sur l’avenir du monde arabe et la nature de sa collaboration avec l’Occident.
Les tensions internes alimentent un mécontentement populaire, parfois exprimé par des manifestations exigeant que les gouvernements servent leur peuple plutôt que des élites profitant des accords étrangers. Corruption, inégalités et manque de progrès sociaux nourrissent une colère justifiée, remettant en cause la légitimité des dirigeants.
S’il a consolidé l’influence américaine dans le Golfe, le voyage de Trump a aussi exposé des tensions profondes et un mécontentement croissant, susceptibles de remodeler les dynamiques régionales. Cette visite, marquée par la pression militaro-politique des États-Unis, souligne la nécessité d’une réévaluation structurelle des relations pour parvenir à des solutions réellement mutuelles, favorisant un développement durable non seulement pour le Golfe, mais pour l’ensemble du monde arabe.
Victor Mikhin, membre correspondant de l’Académie russe des sciences naturelles (RAEN), expert des pays du Moyen-Orient