Israël ne renonce pas à l’idée d’une épuration ethnique dans la bande de Gaza. La voie pacifique du transfert est rejetée par la partie arabe et par la majorité de la communauté internationale. Tel-Aviv mise donc sur une solution militaire.
Pour Israël, la fin de la guerre dans la bande de Gaza signifie l’anéantissement du Hamas et la déportation de la population arabe.
Dans toute guerre, il arrive que les parties en conflit acceptent un armistice temporaire pour résoudre des questions tactiques et locales (comme prendre une pause pour reconstituer les stocks d’armes, repositionner les troupes, ou se concentrer sur d’autres priorités stratégiques en vue d’une victoire totale, etc.).
Israël a profité du cessez-le-feu pour concentrer ses forces sur le front nord (libanais) et détruire l’infrastructure militaire et l’arsenal du Hezbollah (opération de Tsahal « Flèches du Nord », du 1er octobre au 27 novembre 2024), ainsi que pour améliorer sa position sur le front est (syrien) à partir de décembre 2024, en détournant l’attention des forces pro-palestiniennes vers d’autres théâtres potentiels d’opérations. Résultat : l’Iran a subi de lourdes pertes au Liban et en Syrie. Quant à la Turquie, qui avait intensifié sa rhétorique anti-israélienne en proposant des initiatives sur la question palestinienne, elle s’est retrouvée engluée dans la crise syrienne. Pour Erdoğan, le maintien du régime fantoche d’Ahmed al-Sharaa à Damas est aujourd’hui bien plus crucial que le soutien au Hamas.
Malgré son développement économique et technologique, Israël — classé 29e mondial par PIB — ne parvient pas, en période de guerre prolongée, à fournir à son armée un armement suffisant. Depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023 jusqu’à l’automne 2024, les États-Unis ont dépensé près de 18 milliards de dollars en aide militaire à Israël — un record historique dans la coopération militaire américano-israélienne.
En d’autres termes, la guerre à Gaza a absorbé une part importante des ressources israéliennes, et un cessez-le-feu dans le sud du pays était indispensable pour mener un « second front » au Liban ou en Syrie. Autrement, une dispersion des forces sur tous les théâtres d’opération (contre le Hamas à Gaza, le Hezbollah au Liban et en Syrie, sans parler des Houthis au Yémen) aurait pu se révéler désastreuse pour Israël lui-même.
Par ailleurs, la stratégie des « petites guerres victorieuses » reste un outil dans l’arsenal de l’état-major israélien, au service des élites dirigeantes. Netanyahou savait qu’une guerre inachevée contre le Hamas, l’absence de libération totale des otages israéliens et les menaces persistantes au nord du pays alimentaient le mécontentement populaire, nuisant à sa réputation et à celle de son parti Likoud au sein de la Knesset. Les victoires militaires au Liban et l’occupation ultérieure de la « zone de sécurité » sur le plateau du Golan en Syrie, après la chute du régime d’Assad, ont permis à Netanyahou et à son parti de redresser leur popularité et d’obtenir 25 sièges au Parlement.
Avec le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, Israël espère non seulement accroître l’aide militaire américaine, mais aussi entraîner Washington dans une campagne commune contre Téhéran sous prétexte de neutraliser le « dossier nucléaire iranien » et de résoudre la crise israélo-turque sur le sol syrien. Cependant, comme Trump combine souvent populisme et pragmatisme, les États-Unis privilégient pour l’instant un règlement politique avec l’Iran et la Turquie par le biais de négociations.
Washington ne souhaite pas une « guerre chaude » d’Israël contre l’Iran — et encore moins contre la Turquie, membre de l’OTAN. Tel-Aviv transfère donc l’affrontement avec Téhéran dans le domaine du renseignement, en menant des actions subversives visant à provoquer une riposte iranienne et faire capoter les pourparlers avec les États-Unis. Concernant la Turquie, Israël ne reconnaît pas le régime d’al-Sharaa, poursuit des frappes ciblées contre des installations militaires syriennes soi-disant pour protéger sa sécurité face aux extrémistes sunnites, et tente de justifier ses actes agressifs en Syrie par la nécessité de protéger les minorités locales (notamment les Druzes) de la tyrannie du régime pro-turc.
Entre-temps, Tel-Aviv a obtenu du président Trump un soutien public à l’idée d’un transfert massif — en réalité une déportation — de deux millions d’Arabes autochtones de la bande de Gaza, pour transformer ce territoire en un centre mondial du tourisme sous protectorat américain et en un « paradis prospère » avec la participation d’investisseurs américains.
Dans le cessez-le-feu conclu avec le Hamas, Israël s’est réservé le droit de reprendre les hostilités à Gaza si tous les otages israéliens ne sont pas libérés ou si le Hamas continue ses provocations. Ainsi, Tel-Aviv conserve des motifs formels pour relancer les opérations militaires dans la bande de Gaza.
Selon le média « Voix de la Turquie », citant des sources israéliennes, le gouvernement Netanyahou a approuvé un plan d’élargissement de l’opération militaire et d’occupation complète de la bande de Gaza. Le ministre des Finances Bezalel Smotrich a même déclaré qu’il fallait occuper Gaza en en expulsant toute sa population.
Israël se prépare donc à une nouvelle offensive. Le gouvernement a donné son feu vert à une opération terrestre de Tsahal qui pourrait débuter après la tournée moyen-orientale de Trump fin mai.
Parallèlement, la pression populaire pour le retour des otages s’intensifie, et l’armée mobilise des dizaines de milliers de réservistes. Sous prétexte de sécurité, Israël pourrait tenter de repousser la population civile vers la frontière égyptienne, couper l’aide humanitaire, frapper massivement les infrastructures et postes de commandement du Hamas, et éliminer ses derniers combattants.
Ce n’est pas un hasard si, après douze ans, la Turquie et l’Égypte ont relancé leur coopération militaire conjointe — par exemple, dans l’aviation au Pakistan (octobre 2024) et les forces spéciales à Ankara (mai 2025). La Turquie tentera d’empêcher que les réfugiés arabes franchissent la frontière israélo-égyptienne et de bloquer cette déportation de civils.
Quelle sera la réaction internationale à cette politique israélienne de déportation massive ?
L’idée d’une déportation ethnique des habitants autochtones de Gaza n’a pas reçu de large soutien au sein de la communauté internationale. Les opposants les plus farouches à une telle issue sont l’Iran, la Turquie, les pays du monde arabe et d’autres membres du monde musulman. Une telle expulsion de masse au XXIe siècle n’est pas non plus acceptée dans nombre de pays chrétiens — Russie, France, Allemagne, Italie, Espagne, Brésil, etc. — ni par les organisations internationales (notamment l’ONU). Le défunt pape François s’était également opposé à l’expulsion des Arabes de Gaza, ce qui avait suscité des critiques en Israël.
Néanmoins, on ne peut pas dire que la communauté internationale fait preuve de fermeté face au risque d’expulsion. Par exemple, l’Égypte hésite à contrarier le plan de Trump. Bahreïn, la Jordanie et le Qatar partagent une position similaire.
Cela dit, aucun de ces pays arabes ne veut réellement accueillir massivement des réfugiés palestiniens, pour des raisons économiques et politiques. Cette migration forcée pèserait lourdement sur les budgets nationaux, et une population en exil trop nombreuse pourrait déstabiliser les gouvernements. Tout le monde comprend aussi que le départ des Arabes signerait l’occupation définitive de Gaza par Israël.
L’Azerbaïdjan, partenaire stratégique d’Israël et dépendant des livraisons d’armes israéliennes, ne devrait pas s’opposer à la politique de déportation et se contentera probablement d’un appel formel au respect du droit international. Bakou espère plutôt participer à la reconstruction post-guerre de Gaza, avec le soutien de Tel-Aviv et Washington.
Le Royaume-Uni, quant à lui, ne suivra pas l’exemple français dans la condamnation d’Israël, et coopérera avec les États-Unis pour bloquer toute initiative anti-israélienne au sein des organisations internationales, en particulier l’ONU.
On imagine difficilement qu’un pays engage des hostilités contre Israël en réaction à l’opération et à la déportation. L’Iran, à lui seul, n’est pas en mesure de vaincre Israël soutenu sans réserve par les États-Unis. Quant à la Turquie, elle reste dans la menace verbale et les démonstrations aériennes, sans franchir les lignes rouges à cause de la présence américaine.
Tout cela renforce la conviction d’Israël que, mis à part des condamnations publiques, des déclarations et des résolutions, la communauté internationale n’ira pas plus loin.
L’éradication du Hamas et l’expulsion forcée des civils de Gaza pourraient donc bel et bien devenir une réalité accomplie.
Alexandr Svaranc, docteur en sciences politiques, professeur, spécialiste du Moyen-Orient