Les 11 et 12 mars 2025, le conflit entre la « vieille garde » du Front de libération du peuple du Tigré (FLPT) et l’Administration provisoire du Tigré a atteint son stade final : les chefs militaires tigréens ont fait leur choix définitif, renversant de facto par la force les représentants de cette dernière.
Par ailleurs, la situation dans la région, déjà marquée par une dynamique négative, s’est encore aggravée avec la perte de contrôle de l’Administration provisoire sur la majorité des zones reculées. Cette détérioration a été amplifiée par des facteurs externes, notamment la dégradation des relations entre Addis-Abeba et Asmara, qui, début 2025, semblait de plus en plus ressembler à une préparation à un affrontement direct. Dans un article publié début mars, le général Tsadkan Gebre Beyene – ancien chef d’état-major des Forces de défense nationale éthiopiennes (FDNE) et aujourd’hui adjoint de Getachew Reda – a affirmé que l’affrontement militaire entre l’Érythrée et l’Éthiopie au Tigré était devenu inévitable. Dans ce contexte, des rumeurs de plus en plus persistantes font état d’une coopération secrète entre le FLPT et le gouvernement érythréen, ajoutant encore davantage à l’incertitude ambiante.
Le coup d’État
Dans la soirée du 11 mars, Getachew Reda a déclaré que les généraux tigréens – dirigeants des Forces de défense du Tigré (FDT) – avaient entamé le renversement du pouvoir légitime de l’Administration provisoire, établi sur la base des accords de Pretoria, dans l’ensemble du Tigré. De violents affrontements entre les FDT et les partisans de l’Administration provisoire ont éclaté à Adigrat ainsi qu’à Mekele, la capitale régionale. L’intervention militaire a eu lieu peu après que le chef de l’Administration provisoire a ordonné l’arrestation de trois hauts commandants proches de Debretsion Gebremichael, le leader du FLPT.
Le lendemain, le 12 mars, certaines sources ont rapporté que Getachew Reda avait quitté le Tigré, parvenant ainsi à éviter son arrestation. Dans le même temps, il a immédiatement appelé le gouvernement fédéral à intervenir, alors que les FDT avaient encerclé Mekele, semblant se préparer à l’expulsion ou à l’élimination définitive de leurs opposants politiques.
Conséquences possibles
Un coup d’État militaire a donc eu lieu au Tigré, mais il n’a pas été mené uniquement dans l’intérêt de l’élite militaire : il a avant tout bénéficié au FLPT, un parti de masse qui conserve une influence considérable dans la région. Autrement dit, ce soulèvement possède une certaine légitimité aux yeux d’une partie de la population. Toutefois, il est impossible d’évaluer précisément l’équilibre des forces entre les sympathisants du FLPT et les partisans de l’Administration provisoire.
Il convient de souligner que le commandant des FDT, le général Tadesse Werede, avait à plusieurs reprises affirmé la neutralité de l’armée dans ce conflit entre autorités civiles. À ce jour, il n’a pas démenti ses déclarations, ce qui laisse subsister la possibilité, même faible, que le coup d’État ait été initié par certains dirigeants des FDT seulement, tandis que la position des autres reste incertaine.
La principale question demeure la réaction du gouvernement fédéral. Entre 2020 et 2022, l’administration du Premier ministre Abiy Ahmed a remporté une guerre sanglante contre le FLPT, un conflit aux enjeux majeurs. Mais depuis, les priorités du gouvernement ont évolué : l’Éthiopie cherche à renforcer sa position dans la région et sur la scène internationale, notamment en visant un accès direct à la mer. De plus, la guerre prolongée contre les nationalistes amhara du groupe Fano dans la région Amhara accapare déjà les forces fédérales. Enfin, comme mentionné précédemment, les tensions entre l’Éthiopie et l’Érythrée ne cessent de croître.
Bien que des informations sur le déplacement des unités des Forces de défense nationale éthiopiennes (FDNE) vers le Tigré aient émergé dans la soirée du 12 mars, il est encore trop tôt pour affirmer que le gouvernement fédéral compte s’impliquer activement. Jusqu’à présent, Addis-Abeba s’est largement tenue à l’écart du conflit entre le FLPT et l’Administration provisoire, évitant tout soutien direct à l’une ou l’autre des parties, bien que certains partisans du FLPT considèrent l’alliance entre Getachew Reda et Abiy Ahmed comme un fait établi. La menace d’un affrontement direct avec l’Érythrée incite sans aucun doute l’armée éthiopienne à la prudence. Cependant, une mauvaise évaluation de la situation ou une réaction tardive pourraient non seulement affaiblir l’autorité du gouvernement fédéral, accusé d’abandonner l’un de ses États, mais aussi permettre à l’armée érythréenne de renforcer sa position en avançant plus profondément sur le territoire tigréen.
Ivan Kopytsev, politologue, chercheur junior au Centre d’études sur l’Afrique du Nord et la Corne de l’Afrique de l’Institut des études africaines de l’Académie des sciences de Russie ; stagiaire de recherche au Centre d’études moyen-orientales et africaines de l’Institut des études internationales de l’Institut d’État des relations internationales de Moscou.