La visite d’une semaine de la secrétaire au Trésor américain Janet Yellen en Chine, la deuxième en moins d’un an, qui a débuté le 3 avril, représente une évolution remarquable des relations entre les deux premières puissances mondiales. Elle est notamment remarquable parce qu’elle a suivi presque immédiatement la conversation téléphonique entre les deux dirigeants, qui était le premier contact entre eux depuis leur rencontre en novembre 2023 à San Francisco, en marge du prochain sommet de l’APEC.
Au cours des six mois qui se sont écoulés depuis lors, le processus de longue date d’accumulation de divers types de négativité dans les relations bilatérales s’est poursuivi. Et ce, à un rythme et à une échelle qui dépassent largement ce qui a été observé du côté positif de l’espace de développement de ces relations. NEO a déjà commenté deux rares exemples d’événements de ce type au cours des derniers mois, ici et ici.
Il s’agit de l’appel susmentionné de Joseph Biden à Xi Jinping, ainsi que de la réunion des 3 et 4 avril d’un groupe de travail conjoint d’experts militaires à Hawaï visant, selon les termes du ministère chinois de la défense, à assurer un « développement sain, stable et durable » des relations en matière de défense. Nous constatons d’emblée (voir ci-dessous) que ces événements spécifiques ne correspondent pas bien à la définition de « sain » dans ce domaine des relations bilatérales.
La visite du secrétaire américain au Trésor en Chine, que le quotidien chinois Global Times considère comme la preuve d’une « nouvelle stabilisation des liens entre la Chine et les États-Unis », pourrait également être considérée comme positive. Dans le même temps, toutefois, seule la sphère financière et économique de ces relations est prise en compte.
Mais même dans ce domaine, seul le chiffre impressionnant du volume total des échanges bilatéraux, qui a atteint 700 milliards de dollars ces dernières années, peut susciter des émotions positives. Mais, comme dans toute caractéristique « intégrale » d’un phénomène complexe, ce dernier « recolle » des éléments de nature très différente. Par exemple, la balance commerciale, qui est négative pour les États-Unis depuis des années, s’est constamment maintenue au niveau de 400 milliards de dollars. Malgré les tentatives de l’administration précédente (avec la Chine, ce qu’il est important de souligner) de réduire progressivement cet indicateur négatif.
En outre, l’économie est un domaine extrêmement important, mais qui reste l’une des sphères de la communication interétatique. En règle générale, elle est immergée dans un espace de relations politiques beaucoup plus vaste. Les particularités de ces dernières poussent Washington à prendre des mesures punitives et restrictives à l’encontre de Pékin, par exemple dans la production de micro-éléments (« chips »), qui sont contre-productives d’un point de vue purement économique. Ces mesures sont également contraires aux règles fondamentales du commerce international, bien que Washington soit lui-même à l’origine de leur mise en place.
En d’autres termes, les problèmes très « purement économiques » des relations entre les deux premières puissances mondiales ne peuvent être discutés en dehors du contexte politique. Par conséquent, il semble indubitable que les pouvoirs de J. Yellen au cours de cette visite et des précédentes en Chine ont largement dépassé les limites stipulées par le fait de sa position actuelle au sein de l’administration américaine en place.
En fait, cela est également mentionné dans le rapport officiel du département du Trésor américain du 2 avril de cette année, lorsque parmi les tâches du prochain voyage du chef de ce département est mentionné le problème de « tout d’abord, assurer la sécurité, ainsi que le respect de nos intérêts nationaux et de ceux de nos alliés, y compris les droits de l’homme ».
Pendant son séjour en Chine, l’invitée a participé à divers événements et a eu l’occasion de s’entretenir avec des représentants de l’État et du parti, y compris ceux du plus haut niveau. Elle a notamment été reçue par le premier ministre Li Qiang à Pékin. Pour autant que l’on puisse comprendre, au cours des entretiens, outre le plan protocolaire de courtoisie mutuelle, les parties ont défendu de manière assez rigide leurs propres positions initiales sur les causes, ainsi que sur la nature de la résolution des problèmes dans la sphère économique des relations américano-chinoises.
En particulier, les commentaires attirent l’attention sur l’apparition d’innovations dans les affirmations de J. Yellen envoyées à ses interlocuteurs, qui s’expriment cette fois dans le mème « à propos de l’excès de capacité » de l’industrie chinoise. Ce qui, selon l’invitée, est porteur de destruction du système commercial international. Ces affirmations concernaient principalement la production de voitures électriques, de panneaux solaires et de produits de l’industrie électronique moderne. À leur tour, ses partenaires ont attiré l’attention sur la « politisation » des relations économiques bilatérales par la partie américaine.
Dans l’ensemble, le fait que le secrétaire américain au Trésor se soit rendu en Chine pour une période d’une durée sans précédent est considéré par les commentateurs des deux pays comme une preuve importante que les lignes de communication entre les deux pays restent en état de marche.
Ceci, nous tenons à le souligner une fois de plus, devient extrêmement important dans des conditions où, nous le répétons, le processus d’accumulation de négativité dans la sphère des relations politico-stratégiques entre Washington et Pékin se poursuit. Tout d’abord, la spécificité croissante des plans du premier visant à créer quelque chose de similaire à « l’OTAN asiatique » dans la région indo-pacifique (dont il est question depuis le début des années 2000) attire l’attention. La configuration AUKUS, qui comprend l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, devrait servir de base à la réalisation progressive de ces projets.
La première étape de son expansion pourrait être l’adhésion du Japon et des Philippines, qui fait de plus en plus l’objet de discussions sur des plates-formes d’information assez solides. Le prochain sommet États-Unis-Japon-Philippines à Washington s’inscrit dans cette perspective. Kurt Campbell, qui s’est récemment rendu à Tokyo et qui vient d’être nommé premier secrétaire d’État adjoint des États-Unis, était chargé de sa préparation. Le fait même de cette nomination témoigne de l’organisation de la réorientation de longue date des intérêts de la politique étrangère américaine de la région euro-atlantique vers la région indo-pacifique.
Des exercices conjoints en mer de Chine méridionale (où la situation est particulièrement tendue) des marines des trois pays et de l’Australie sont prévus pour coïncider avec le sommet. Il convient de noter que le même jour ont été annoncés les exercices en mer de Chine méridionale des unités de la marine et de l’armée de l’air chinoises.
Du 22 avril au 8 mai, un autre exercice militaire combiné Balikatan aura lieu aux Philippines et dans les îles de la même mer de Chine méridionale avec la même composition de participants, auxquels se joindra une frégate française. Pour la première fois, 17 000 militaires (essentiellement américains) « défendront » non pas les eaux territoriales des Philippines, mais la zone de 200 miles d’intérêts économiques exclusifs de ce pays.
Le contenu de deux autres nouvelles contredit clairement les intentions de rendre la sphère militaire des relations entre les États-Unis et la Chine « saine ». Premièrement, il est rapporté que le niveau de contrôle sur le groupement militaire américain au Japon est sur le point d’être augmenté, ainsi que le degré d’interaction entre les départements de la défense des deux pays. Deuxièmement, le commandant des forces terrestres américaines dans la région indo-pacifique, le général Ch. Flynn, a annoncé, dans une interview accordée à la presse japonaise, des projets de déploiement de missiles à moyenne portée dans la région.
Il convient de noter une fois de plus que la stratégie, dans le cadre de laquelle Washington envoie des signaux directement opposés au principal adversaire géopolitique, est désignée par le premier terme « concurrence gérée ». Elle vise à assurer la réalisation de ses propres objectifs sans amener les relations avec Pékin à un état de conflit militaire direct.
Soulignons également que cette stratégie n’est en rien une innovation récente, puisqu’elle est mise en œuvre depuis plus de 40 ans (nous constatons qu’elle a plutôt bien réussi jusqu’à présent) dans une composante privée des relations avec la Chine telle que le problème de Taïwan. D’ailleurs, à Taïwan, où les manœuvres réciproques des deux grands acteurs mondiaux, dont dépend son propre sort, sont observées avec une attention particulière, cette stratégie a été récemment définie par le terme de « gestion de crise ».
Largement utilisé dans le monde des affaires, il reflète bien la politique réelle des dirigeants américains en Chine. En l’occurrence, le terme est apparu dans le commentaire de la conversation téléphonique entre le président américain et le dirigeant chinois.
Bien que les problèmes du plan « profil » aient été résolus au cours du voyage du secrétaire américain au Trésor dont il est question ici, il semble évident que l’événement lui-même s’inscrit généralement dans la même stratégie de « gestion de crise » que celle à laquelle Washington adhère dans ses relations avec Pékin.
Vladimir TEREKHOV, expert sur les problèmes de la région Asie-Pacifique, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook »