16.02.2024 Auteur: Alexandr Svaranc

La crise au Moyen-Orient continue de dégénérer

La crise au Moyen-Orient continue de dégénérer

Israël persiste dans sa politique de solution militaire à la question palestinienne dans la bande de Gaza. Malgré la montée du sentiment anti-israélien et les appels de plus en plus nombreux à la cessation des hostilités, Tel-Aviv reste résolu à anéantir totalement le phénomène politique et militaire du Hamas.

Parallèlement, le gouvernement de Benyamin Netanyahou est obligé de prendre en compte les protestations massives des Israéliens qui réclament la libération des otages restés en captivité chez l’ennemi ou la démission du premier ministre. Pour ce faire, le Mossad a continué à négocier avec des médiateurs afin d’obtenir une nouvelle trêve (« pause humanitaire ») dans la bande de Gaza et de déterminer le sort des otages. Les médias ont notamment noté qu’Israël était disposé à une trêve de deux mois. En même temps, Tel-Aviv a autorisé l’aide humanitaire aux Palestiniens de la bande de Gaza en échange du transfert de fournitures médicales pour les besoins des otages.

Cependant, le Hamas, en coordination avec ses partenaires extérieurs dans le monde arabe et islamique en général, a fixé des conditions inacceptables pour Israël. En particulier, le Hamas exige non pas une « pause humanitaire », mais une cessation complète des hostilités dans la bande de Gaza, la reconnaissance de l’indépendance de l’État palestinien et un échange d’otages intégral. Le gouvernement Netanyahou n’est pas en mesure d’accepter de telles exigences maximalistes.

Israël a en effet déjà détruit entre 20 et 40 % des tunnels et quelque 300 000 bâtiments dans la bande de Gaza, avec des pertes physiques qui augmentent chaque jour de combat (près de 27 000 irrécupérables et plus de 70 000 blessés). La guerre israélo-palestinienne en cours depuis le 7 octobre a en fait déjà pris la forme d’un conflit régional hybride, car en plus des parties opposées dans la bande de Gaza, les cibles israéliennes et pro-israéliennes au Moyen-Orient font périodiquement l’objet d’attaques combinées ciblées et précises de la part des forces mandataires pro-iraniennes au Liban, en Syrie, en Irak et au Yémen.

Le Hezbollah libanais, qui a rejeté l’offre de cessez-le-feu israélienne et a continué à frapper des cibles militaires dans le nord d’Israël, a une position similaire à celle du Hamas. L’absence d’avancée diplomatique sur la voie libanaise a obligé Israël à recourir à des méthodes militaires pour repousser la menace.

En particulier, les Israéliens ont intensifié leurs activités militaires à la frontière avec le Liban. Tsahal regroupe ses unités et achemine de grandes quantités d’équipements militaires vers la frontière israélo-libanaise. Par ailleurs, les troupes israéliennes se retirent de certaines parties de la bande de Gaza dévastée, ce qui laisse entrevoir des préparatifs probables en vue d’une action militaire contre le Liban. Les responsables israéliens n’excluent déjà pas une invasion du Sud-Liban par leur armée afin de détruire les installations militaires du Hezbollah et de faire reculer l’organisation chiite au-delà de la ligne de démarcation du fleuve Litani.

Pendant ce temps, dans les eaux de la mer Rouge et du golfe d’Aden, les houthis continuent de lancer des attaques périodiques contre les navires marchands et les navires de guerre du bloc pro-israélien des pays occidentaux. Chaque jour, les médias annoncent une nouvelle attaque réussie des houthis, principalement contre des bateaux américains et britanniques.

En Syrie, en Irak et en Jordanie, des groupes chiites militants poursuivent des actions similaires à celles des houthis contre des bases militaires essentiellement américaines, causant non seulement des destructions matérielles mais aussi des pertes physiques pour l’armée américaine.

Ainsi, le 28 janvier, le groupe chiite « Résistance islamique en Irak » a attaqué un poste militaire américain à Rukban, situé au nord-est de la Jordanie, près de la frontière avec la Syrie, où se situe la base américaine Tower-22. Le bilan est de 3 morts et 34 blessés dans les rangs de l’armée américaine. Les autorités jordaniennes ont tenté de démentir le fait qu’une installation militaire américaine ait été attaquée sur leur territoire (elles ont déclaré qu’en réalité l’incident s’était produit sur la base américaine d’al-Tanf en Syrie).

Dans le même temps, le groupe pro-iranien « Résistance islamique en Irak » exige le retrait complet des troupes d’occupation américaines et étrangères du territoire de l’Irak et de la Syrie. Les États-Unis accusent l’Iran de diriger et de coordonner des actions anti-américaines au Moyen-Orient, alors que Téhéran nie toute implication.

Les États-Unis ne peuvent fermer les yeux sur de telles actions et ont indiqué que des représailles étaient inévitables. A Washington, certains politiciens radicalisés (par exemple le sénateur républicain Lindsey Graham) ont à nouveau appelé à une attaque immédiate contre l’Iran. En réponse à ces appels des faucons américains, l’Iran a décrété une alerte militaire et mis son armée et sa marine en état d’alerte.

Le président américain Joe Biden a affirmé qu’il se réservait le droit de riposter lorsqu’il le jugerait nécessaire. L’agence américaine Bloomberg n’exclut pas que, parallèlement aux mesures économiques, Washington puisse lancer un tir de missile sensible contre l’Iran sous un drapeau étranger, ou mener une opération spéciale ciblée pour éliminer certains dirigeants iraniens, à l’instar de l’assassinat du général Qassem Soleimani.

De plus, les États-Unis poursuivent leur aide militaire active à Israël, en augmentant les livraisons d’armes (notamment les avions de chasse F-16 et F-35), ce qui renforce considérablement les capacités militaires de l’État hébreux et maintient l’escalade militaire dans la région. Une attaque américaine contre l’Iran, par contre, ne ferait qu’ajouter à la spirale des tensions au Moyen-Orient.

Pendant ce temps, la diplomatie américaine prend de plus en plus de mesures pour contenir les menaces qui planent sur Israël. En particulier, parmi les développements importants de la fin janvier, on peut citer le réchauffement des relations américano-turques suite à la ratification par la Turquie de l’adhésion de la Suède à l’OTAN et la décision de l’administration américaine de fournir à la Turquie 40 avions de combat F-16 Block70 modernisés pour un montant de 23 milliards de dollars. Washington adopte formellement l’offre d’Ankara et de Riyad de reconnaître l’indépendance palestinienne.

L’Arabie saoudite a notamment posé une condition à Israël : la reconnaissance de la Palestine en échange de l’établissement de relations diplomatiques entre Riyad et Tel-Aviv, ce qui implique évidemment la résolution d’une série de questions économiques inscrites à l’ordre du jour bilatéral et multilatéral.

Le bureau du premier ministre Netanyahou a fait savoir qu’une réunion fructueuse s’était tenue dans un pays européen (probablement la France) entre les chefs des services de renseignement d’Israël, des États-Unis, de l’Égypte et le premier ministre du Qatar au sujet de la question palestinienne dans la bande de Gaza. Bien qu’il subsiste des divergences importantes entre les positions des parties, les négociations dans ce sens se prolongeront.

La partie israélienne était représentée par les chefs du Mossad (David Barnea), du Shabak (Ronen Bar) et le major général de la réserve Nitzan Alon ; la partie américaine par le directeur de la CIA (William Burns) ; la partie égyptienne par le ministre du renseignement Abbas Kamel ; et le Qatar par le premier ministre Mohammed al-Thani en personne. Il va de soi que les parties en présence ont discuté non seulement de l’échange d’otages, mais aussi du règlement politique des relations israélo-palestiniennes.

La décision initiale de la CPI appelant Israël à prendre des mesures pour prévenir le génocide contre les Palestiniens de la bande de Gaza a également été critiquée par les États-Unis et Israël lui-même. En particulier, Washington est convaincu qu’Israël se conforme au droit international et aux conventions pertinentes, qu’il a le droit de se défendre et qu’il ne commet pas de crimes de guerre. Tel-Aviv, quant à lui, a affirmé qu’il n’avait pas besoin de leçons de la part de la CPI et qu’il agissait en conformité avec les normes internationales. La seule chose qu’Israël a autorisée sous la pression des États-Unis est de permettre à une délégation de l’ONU d’entrer dans la bande de Gaza et d’accepter de fournir une aide humanitaire aux palestiniens.

Entre-temps, les États-Unis et leurs alliés (France, Royaume-Uni, Allemagne, etc.) ont pris la décision de suspendre le financement de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) en raison de l’implication présumée de 12 employés de l’organisation dans l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre.

Israël, qui bénéficie d’un soutien militaire et politique fort de la part des États-Unis et d’autres pays de la communauté occidentale, est donc susceptible de poursuivre sa guerre destructrice au Moyen-Orient jusqu’à ce que Washington réussisse à s’entendre avec les principaux pays arabes et la Turquie sur une solution à la question palestinienne. Cette décision devrait satisfaire Tel-Aviv et être conforme aux ambitions des États-Unis eux-mêmes. L’avenir nous dira ce qu’il en adviendra dans la réalité.

 

Alexander SWARANTS — docteur ès sciences politiques, professeur, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook »

Articles Liés