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Rencontre de Wang Yi avec Jake Sullivan

Vladimir Terehov, février 05

Rencontre de Wang Yi avec Jake Sullivan

Les 26 et 27 janvier, le ministre chinois des affaires étrangères Wang Yi, membre du bureau politique du comité central du parti communiste chinois, et Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale du président américain, se sont rencontrés dans la capitale thaïlandaise, Bangkok. Cet événement doit être considéré comme une étape importante dans le processus global de rétablissement des lignes de communication entre les deux premières puissances mondiales, lancé lors du sommet de leurs dirigeants qui s’est tenu à San Francisco en novembre dernier.

NEO commente plus ou moins régulièrement toute évolution notable de ce processus incontestablement positif. L’existence même de ce processus témoigne de l’intention des deux principaux acteurs de la phase actuelle du « Grand jeu mondial » de contourner le « Piège de Thucydide » nouvellement identifié. Y tomber cette fois-ci serait une catastrophe d’origine humaine aux proportions mondiales et signifierait certainement la fin de l’histoire de l’homme en tant qu’ « être raisonnable ».

En outre, les raisons objectives qui poussent les deux pays vers le « piège » susmentionné ne disparaissent pas. Cela signifie que le positionnement mutuellement compétitif des États-Unis et de la Chine à la table de jeu mondiale demeurera. Toutefois, il a été décidé de lui donner un format de « compétition gérée ». Cela permettra peut-être (mais pas nécessairement) d’éviter la tentation de recourir au ultima ratio regum dans l’une ou l’autre situation aiguë. Ce qui, dans les conditions actuelles, aurait, répétons-le, des conséquences fatales pour l’humanité entière.

Avec quelques digressions, notons une différence favorable entre la nature des manœuvres mutuelles actuelles des deux principaux acteurs mondiaux et ce qui se passe aujourd’hui en Europe. Cette dernière, ne voulant pas accepter d’être devenue l’arrière-cour de la politique mondiale, a apparemment décidé, comme on dit, de « faire comme au bon vieux temps » et de s’adonner à son passe-temps favori, c’est-à-dire de se diviser une fois de plus en deux camps irréconciliables. Avec une propagande dirigée l’un contre l’autre, qui acquiert un caractère miroir et paranoïaque.

D’un côté, une image caricaturale de « Poutine » est peinte, conçue pour représenter, sinon le mal universel, du moins une source de menace pour l’existence même du mythique « Occident » et de sa « démocratie » (non moins mythique). D’autre part, le même « Occident » (variante, les « Anglo-Saxons ») est dépeint, mais déjà comme porteur d’une « russophobie originelle » qui, depuis des siècles, ne veut rien faire d’autre que de chercher des moyens de détruire la « Sainte Rus’ ». Il convient d’ailleurs de noter que les deux précédents conflits en Europe, qui ont pris un caractère mondial, ont été conçus selon les mêmes principes.

Sur le plan territorial, les deux camps sont divisés par plusieurs formations parasitaires, en premier lieu l’actuelle Ukraine. Les deux camps brandissent facilement des « armes nucléaires », bien qu’au stade actuel de la lutte pour les « esprits et les cœurs » de la population ukrainienne, par exemple, l’arme principale devrait être les images de la Crimée en développement et de Marioupol en voie de rétablissement. C’est une chose que les ordures de l’arrière-cour de Kiev, qui vendent leur propre peuple à une foire politique internationale, ne sont pas capables de faire.

En général, l’outil principal de la lutte qui se déroule sur la table du « Grand jeu mondial » est la démonstration de la capacité à créer quelque chose de positif, plutôt que la maîtrise de la destruction à l’aide de « Sarmat-Poséidon-Hypersonic ». L’avenir devrait être celui de ceux qui savent éteindre les feux des nombreux conflits qui ont déjà commencé, plutôt que d’y verser de l’huile supplémentaire en se frottant les paumes de mains.

Ce n’est que dans le cadre d’une propagande particulièrement stupide qui monte les nations les unes contre les autres que l’on peut se réjouir d’un conflit qui se déroule sur le territoire américain. Avec la perspective qu’il se transforme en tragédie pour les populations généralement sympathiques qui habitent ce pays. Sans parler des conséquences difficilement prévisibles de l’effondrement potentiel de la première puissance mondiale actuelle sur l’ordre mondial dans son ensemble.

C’est la démonstration de la capacité à construire, et non à détruire ce qui a déjà été construit, qui sera probablement au cœur de la lutte entre les États-Unis et la Chine pour l’influence sur le « Sud global », qui devient le centre des processus politiques mondiaux actuels. Bien que, pour le bien de la cause, il serait préférable de ne pas transformer l’espace du même « Sud global » (notionnel) en un champ de lutte entre projets. Même s’ils ont des objectifs positifs, comme l’initiative Belt and Road, d’une part, et le soi-disant « consensus de Cornouailles », d’autre part.

Mais s’il est impossible d’éliminer les raisons très « objectives » du positionnement concurrentiel des deux grandes puissances mondiales dans cet espace, il faut au moins les laisser se battre de manière « contrôlée et gérée ». Ce que, semble-t-il, Washington et Pékin ont l’intention de faire. En témoigne le processus de rétablissement de l’échange de signaux sur les lignes de communication entre les deux pays, lancé à San Francisco.

Dans ce cadre, l’événement le plus significatif a été la « réunion en territoire neutre » mentionnée au début (à Bangkok) des principaux responsables des dirigeants des deux pays pour la politique étrangère de chacun d’entre eux. Ses résultats sont généralement évalués positivement dans les deux pays, dans des termes verbaux plus ou moins similaires.

Dans un bref communiqué de la Maison Blanche, soulignant le rôle du « Sommet de Woodside » (banlieue de San Francisco) tenu deux mois plus tôt, on peut lire notamment : « … M. Sullivan a souligné que bien que les Etats-Unis et la Chine soient en situation de concurrence, les deux pays doivent éviter que celle-ci ne dégénère en conflit ou en confrontation ». Au cours des entretiens, le même M. Sullivan a proposé de discuter de questions liées à la situation dans diverses régions du monde, notamment « en Ukraine, au Moyen-Orient, en mer de Chine méridionale et en Birmanie ». Cette dernière, il faut le noter, s’autodésigne désormais comme « Myanmar », dont l’évolution dramatique a été récemment commentée dans le NEO.

Parmi les résultats concrets du sommet et de la réunion en cours de discussion figurent le rétablissement des contacts militaires, la poursuite du dialogue sur les problèmes posés par le développement et la mise en œuvre des technologies d’intelligence artificielle et la coopération dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. Le 30 janvier, la première réunion conjointe du groupe de travail s’est déjà tenue pour aborder cette dernière question, qui a récemment encore servi de prétexte à Washington pour accuser Pékin de fournir aux cartels mexicains de la drogue des « précurseurs » pour la production de fentanyl.

Il est à noter que le document de la Maison Blanche ne mentionne pas la question de Taiwan. En revanche, il est commenté par les médias chinois et taïwanais. Naturellement, à partir de positions directement opposées. Le premier responsable du Global Times évalue généralement les entretiens qui viennent d’avoir lieu (« en l’espace de 12 heures ») comme « francs, informatifs et fructueux », destinés à « stabiliser les relations bilatérales par le biais d’un dialogue stratégique ». Toutefois, « les divergences entre les deux pays sur la question de Taïwan sont susceptibles de persister et de s’intensifier ».

Quant à Taiwan, au nom de son département de politique étrangère, il a exprimé sa « gratitude » à J. Sullivan pour avoir « une fois de plus exprimé son soutien à l’état de paix dans le détroit de Taiwan ». Nous voudrions ajouter que cette position, formulée par Washington dès 1979 par l’acte législatif pertinent (Taiwan Relations Act), qui ne nie pas formellement le « principe d’une seule Chine », crée des obstacles (jusqu’à présent insurmontables) à sa mise en œuvre dans la pratique.

Toutefois, la persistance et, dans une large mesure, l’intensification des relations concurrentielles entre les deux principales puissances mondiales ne se limitent en aucun cas à la question de Taïwan. Une fois de plus, nous constatons l’intensification de la lutte d’influence dans le même « Sud global » dans son ensemble et dans certaines de ses régions. Ainsi, la position de Pékin sur la situation dans chacune des régions évoquées par J. Sullivan lors de ses entretiens avec Wang Yi diffère des positions de Washington avec plus ou moins de radicalité.

Ceci est particulièrement vrai pour ce qui s’est passé récemment en mer de Chine méridionale, qui, soit dit en passant, est directement adjacente à Taiwan. L’un des facteurs importants qui compliquent la situation en mer de Chine méridionale est le retour effectif de la politique étrangère des Philippines à celle que ce pays suivait depuis le début des années 1950, lorsque le traité de relations alliées avec les États-Unis a été conclu, et jusqu’à l’élection de Rodrigo Duterte à la présidence en 2016.

Toutefois, dans la seconde moitié de son mandat présidentiel, la tendance à ce retour est devenue très claire. Cette tendance est devenue tout à fait évidente avec l’élection de Marcos Jr. à ce poste. Toutefois, il semble pertinent de discuter de cette dérive de la politique étrangère philippine séparément et une fois de plus en relation avec la visite de F. Marcos Jr. au Viêt Nam, qui a débuté fin janvier.

Les sources de maintien de la tension dans les relations sino-américaines sont donc nombreuses. Mais, répétons-le, la stratégie de « concurrence dirigée » plus ou moins convenue par les parties n’envisage pas leur disparition.

Il faudra au moins placer des bougies aux endroits appropriés pour que la définition de « géré » dans cette formule ne perde pas sa signification.

 

Vladimir TEREKHOV, expert sur les problèmes de la région Asie-Pacifique, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook »

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