29.01.2024 Auteur: Madi Khalis Maalouf

Le conflit israélo-palestinien divise les pays du Golfe

Le conflit israélo-palestinien divise les pays du Golfe

L’attaque inattendue du Hamas contre Israël au début du mois d’octobre 2023 a placé de nombreux États arabes dans une situation difficile. Il convient de rappeler qu’un certain nombre d’États ont signé les accords abrahamiques de pacification avec les Israéliens en 2020, tandis que les autres États ont maintenu un cap difficile à l’égard de l’État juif. Ainsi, c’est au sein du Conseil de coopération des États arabes du Golfe (CCG) que ce processus est le plus visible. Les monarchies arabes sont divisées. Le Koweït, Oman et le Qatar accusent les autorités israéliennes d’agression et de violence. Bahreïn et les Émirats arabes unis (EAU), qui ont normalisé leurs relations avec Israël conformément aux accords d’Abraham de 2020, ont adopté une position plus prudente.

L’Arabie saoudite se trouve dans la position la plus difficile. Le fait est qu’un certain nombre d’États arabes voient des raisons cachées derrière l’attaque du Hamas, y compris le blocage des tentatives de rapprochement entre l’Arabie saoudite et Israël et la « normalisation » des relations. Afin d’éviter les pertes d’image et de dissiper les doutes de ses compatriotes, Riyad a fait preuve de la réaction la plus vive face à l’escalade du conflit en déclarant suspendre tout mouvement en direction de Tel-Aviv.

Lors de conversations téléphoniques avec le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, le roi de Jordanie et le président égyptien, le prince héritier saoudien a exprimé sa solidarité avec les Palestiniens et sa volonté de contenir la violence. En particulier, selon les autorités officielles saoudiennes, Mohammed bin Salman Al Saud a déclaré au dirigeant palestinien que « le Royaume fait tous les efforts possibles pour communiquer avec toutes les parties internationales et régionales afin d’arrêter l’escalade en cours et d’empêcher son expansion dans la région ». Le même accord a été conclu entre le prince saoudien et le dirigeant égyptien Abdel Fattah Al-Sisi. Lors de l’appel téléphonique, les deux parties « ont convenu de la nécessité d’intensifier les efforts internationaux et régionaux pour mettre fin à l’escalade à Gaza et autour de Gaza et empêcher son expansion dans la région ».

Cette superposition de déclarations enflammées appelant à une « désescalade immédiate », lancées par l’ASK le 7 octobre même et faisant écho aux avertissements sur les conséquences de « la poursuite de l’occupation et de la privation des droits légitimes des Palestiniens, ainsi que des provocations systématiques répétées contre leurs lieux saints », a évité aux Saoudiens d’énormes dégâts politiques. Le Koweït, Oman et le Qatar ont fait écho à la rhétorique sévère du royaume en déclarant leur soutien à l’établissement d’un « État [palestinien] indépendant conformément aux frontières de 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale ». Le 7 octobre, le ministère des affaires étrangères du Qatar a fait porter à Israël l’entière responsabilité de l’escalade et a appelé la communauté internationale à « contraindre Israël à mettre fin à ses violations flagrantes ». Le Koweït a quant à lui déclaré que les violences étaient « le résultat des violations et des attaques flagrantes de l’occupation [israélienne] » à l’encontre des Palestiniens. L’émir du Koweït a également déclaré sa solidarité « inébranlable et de principe » avec le peuple palestinien.

Toutefois, comme nous l’avons vu plus haut, les pays du Golfe ont des approches différentes de la même question.  Les Émirats arabes unis font clairement la distinction entre le commerce et la politique. C’est ce qu’a confirmé le ministre du commerce du pays, Thani Al-Zeyoudi, lorsqu’on lui a demandé si le conflit entre Israël et le Hamas affecterait les accords économiques.

Officiellement solidaires du peuple palestinien, les Émirats arabes unis sont devenus le premier pays du Golfe à normaliser ses relations avec Israël en 2020. Cette décision a été dictée uniquement par les intérêts économiques de l’État. La priorité du gouvernement n’est pas de maintenir une ligne politique unique avec les États arabes, mais de développer le commerce mondial et d’entretenir des liens économiques durables avec tous les pays du monde afin de faire des Émirats un centre financier et commercial mondial attirant les investisseurs étrangers et les entreprises internationales.

Sur cette base, Abu Dhabi a exprimé le 7 octobre son inquiétude face à « l’escalade de la violence entre Israéliens et Palestiniens » et présenté ses condoléances à « toutes les victimes ». Les autorités bahreïnies ont quant à elles prévenu que « la poursuite des combats » entre « les factions palestiniennes et les forces israéliennes dans la bande de Gaza » aurait « des conséquences négatives pour la sécurité et la stabilité de l’ensemble de la région ». La position relativement neutre adoptée par le Bahreïn et les Émirats arabes unis reflète probablement une position liée à la normalisation des relations avec Israël.

Ils sont contrebalancés par le Koweït, Oman et le Qatar, dont les critiques à l’égard d’Israël reflètent un refus de normalisation en l’absence de solution à la question palestinienne, tout en rejetant tout lien avec Tel-Aviv. L’Arabie saoudite se distingue en tant que médiateur entre les deux camps du Golfe. Le royaume, non sans influence américaine, décide avant tout de réaliser ses propres intérêts géopolitiques par le biais d’un accord avec Israël. En échange de l’établissement de liens officiels avec Israël, l’Arabie saoudite a exigé de Washington un accord de défense mutuelle sur le modèle de l’OTAN avec les États-Unis, une aide à la mise en place d’un programme nucléaire sur le sol saoudien et la fourniture d’armes américaines modernes. Riyad a également insisté sur des « concessions » liées à la cause palestinienne.

Dans le même temps, des responsables proches du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu ont nié avoir reçu des conditions de la part de l’Arabie saoudite pour normaliser les relations avec le Royaume. Toutefois, certains responsables israéliens de la sécurité se sont prononcés contre tout programme nucléaire saoudien soutenu par les États-Unis qui pourrait résulter d’un accord de normalisation.

Ainsi, l’escalade du conflit israélo-palestinien a mis en évidence la fracture au sein du CCG et a intensifié la concurrence entre les centres de pouvoir opposés représentés par Abu Dhabi et Riyad. Les Émirats arabes unis et Bahreïn continueront probablement à prendre leurs distances par rapport aux questions liées au règlement du conflit au Moyen-Orient, tout en maintenant officiellement leur solidarité avec le peuple palestinien. De l’autre côté, le Koweït, Oman et le Qatar continueront, à l’instar de l’ASK, à critiquer Israël. Majoritaires au sein du CCG, ils peuvent donner le ton à l’ensemble de l’organisation, ce qui ne sera évidemment pas à l’avantage des Émirats qui, grâce à la reprise économique, sont désormais considérés comme les leaders de l’association.

Pour l’Arabie saoudite, les combats à Gaza sont à la fois un défi et une opportunité. La sécurité de toute la région dépend de la stratégie future du prince héritier. Ainsi, en se rapprochant d’Israël pour obtenir ce qu’il veut de Washington, Mohammed bin Salman, avec un haut degré de probabilité, peut mettre en danger d’autres pays arabes et provoquer un conflit avec le Hamas. Dans le même temps, Riyad est en mesure d’assurer la sécurité de l’ensemble de la région en posant le vecteur nécessaire et en aplanissant les contradictions dans les ambiguïtés actuelles entre les dirigeants des monarchies arabes.

 

Madi Khalis MAALOUF, observateur politique, notamment pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook »

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