29.12.2023 Auteur: Vladimir Mashin

Le déclin de l’autorité des États-Unis dans le monde

Les États-Unis demeurent une grande puissance, mais leurs actions en matière de politique étrangère ont récemment fait l’objet de critiques de plus en plus vives, tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger.

L’indignation de la plupart des pays en développement, aujourd’hui appelés le Sud Global, a été déclenchée par le nouveau veto de Washington à la résolution du Conseil de sécurité du 8 décembre exigeant une cessation immédiate des hostilités et l’octroi d’une aide humanitaire aux palestiniens.

Les pays arabo-musulmans ont demandé la convocation d’une session d’urgence de l’Assemblée générale des Nations unies pour examiner le projet de pacte qui leur a été présenté par les américains le 8 décembre.

Le 12 décembre, 153 États sur les 194 membres des Nations unies ont voté en faveur du projet, tandis que 10 pays, dont les États-Unis et Israël et leurs plus proches alliés, se sont prononcés contre. Cette décision a placé Washington dans une position d’isolement sur la scène internationale, les journaux arabes dénonçant ce 46-e veto américain en faveur d’Israël. Plusieurs sites Internet ont publié des articles sur le thème que « l’administration Biden et ses larbins méprisants restent déterminés à déformer la réalité pour dissimuler leur implication dans les crimes commis contre les palestiniens ».

Les trois plus proches alliés des États-Unis (le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande) ont pris la décision extrêmement symbolique de rompre avec Washington et d’appeler à des efforts urgents pour parvenir à un accord de cessez-le-feu dans la bande de Gaza. « Le prix à payer pour vaincre le Hamas ne peut être la souffrance continue de tous les civils palestiniens », ont déclaré les trois premiers ministres. Même le Royaume-Uni, qui se range toujours du côté des États-Unis, s’est couvert en décidant de s’abstenir de voter sur une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies à laquelle les États-Unis ont opposé leur veto.

Richard Gowan, expert des Nations unies et membre de l’International Crisis Group, a déclaré à ce sujet : « La plupart des États membres de l’ONU ont perdu patience face à la position américaine sur la guerre. Lors de sa création, de nombreux diplomates arabes espéraient trouver un terrain d’entente avec les États-Unis sur les questions humanitaires. Aujourd’hui, en revanche, le groupe arabe fait campagne pour souligner le peu de pays qui soutiennent les États-Unis dans leur opposition au cessez-le-feu ».

De nombreuses personnalités du Moyen-Orient ont placé leurs espoirs dans la visite en Israël de Jake Sullivan, le conseiller du président américain en matière de sécurité nationale, d’autant plus que les responsables de l’administration américaine ont clairement indiqué qu’ils souhaitaient qu' »Israël mette fin à sa campagne terrestre et aérienne à grande échelle dans la bande de Gaza dans les semaines à venir et passe à une phase plus ciblée de la guerre contre le Hamas ». Cependant, le New York Times a écrit après la visite de M. Sullivan le 14 décembre : M. Biden laisse entendre qu’Israël adoptera des tactiques plus précises dans trois semaines environ. Cette annonce a suscité encore plus de déception dans le monde arabo-musulman, car elle a été perçue comme une nouvelle carte blanche pour bombarder Gaza.

En utilisant son droit de veto pour empêcher un cessez-le-feu immédiat à Gaza, écrivait le journal égyptien Al-Ahram le 14 décembre, l’administration américaine a perdu de nombreux bons amis dans la région arabe ainsi que dans le monde entier, et a perdu toute crédibilité en affirmant que les droits de l’homme avaient leur place dans son programme de politique étrangère.

« Les États-Unis, concluait l’autre jour le magazine Forin Affairs, manquent de l’étendue et de la profondeur de la compétence (capacité et savoir-faire) dans leur gouvernement moderne… La période de crise actuelle défie les États-Unis et les autres pays du monde libre plus que toute autre au cours des 60 dernières années ».

Les médias arabes laissent entendre que même si le Hamas disparaît théoriquement, cela n’empêchera pas l’émergence de nouveaux groupes de résistance palestiniens tant que les souffrances des palestiniens sous l’occupation et le système d’apartheid se poursuivront. Ainsi, au lieu d’utiliser les vieux arguments de la défense de la sécurité d’Israël et de son droit à l’existence, la stratégie alternative devrait être d’abandonner le principe de placer Israël au-dessus de toutes les lois internationales.

CNN a fait remarquer que la guerre à Gaza a eu des conséquences humaines terribles, ainsi que des répercussions politiques inattendues aux États-Unis. Cela a conduit à une nouvelle vague d’antisémitisme, suscitant la colère des électeurs arabo-américains. Le quotidien libéral New York Times a déclaré que les États-Unis devraient reconnaître l’État de Palestine et rejoindre les 139 autres pays qui l’ont déjà fait. Selon Bloomberg, la campagne de l’armée israélienne à Gaza « est inhumaine et contre-productive ». Elle risquerait de monter le monde contre Israël, d’enterrer la mémoire du 7 octobre et de radicaliser une nouvelle génération de recrues potentielles du Hamas ».

En Israël même, les critiques concernant les actions du gouvernement Netanyahou à Gaza se renforcent. Le chef de l’opposition, Yair Lapid, a appelé le premier ministre à démissionner en raison de la mauvaise gestion par le gouvernement de la guerre contre le Hamas. Il était soutenu par l’ancien chef du Shabak (Shin Bet), Yuval Diskin. Un récent sondage réalisé par le journal Maariv a montré que 51 % des Israéliens interrogés pensent que Beni Gantz est plus apte à devenir premier ministre que Netanyahou. L’impact économique de la guerre est un autre facteur important : le pouvoir d’achat moyen a baissé, les prix ont augmenté et le marché immobilier est en crise. L’économie a été secouée par une baisse du tourisme et la décision des compagnies de réduire les vols vers Israël.

D’après un certain nombre d’analystes politiques russes et israéliens, Netanyahou se perçoit comme le sauveur d’Israël, mais avec chaque jour passé à frapper les palestiniens, il se métamorphose « non plus en simple criminel de guerre, mais en fossoyeur d’Israël ». Israël est aujourd’hui militairement plus fort que les palestiniens, mais cela ne veut rien dire sur le terrain historique. La voie suivie par M. Netanyahou mène à l’isolement mondial : très bientôt, la plupart des pays européens ne pourront s’abstenir de le condamner. La persistance de la guerre pourrait faire perdre à Israël son caractère essentiel aux yeux de la communauté internationale. Théoriquement, les États-Unis pourraient à la fois maintenir et couvrir Israël seuls pendant des années, mais la situation au Moyen-Orient, ainsi que les problèmes intérieurs, ne le permettront pas.

L’Amérique est entravée par ses ambitions impériales, qui font que tout traité ou concession est perçu dans l’opinion publique comme un échec. Les élites ont l’habitude de se comporter de la sorte. Lorsque des changements internes interviendront, lorsqu’ils commenceront à respecter d’autres personnes et d’autres pays, à rechercher des compromis plutôt que de résoudre tous les problèmes par la voie militaire, alors les conditions d’une véritable détente seront créées.

 

Vladimir Mashin, candidat en histoire, commentateur politique, spécialement pour la revue en ligne « New Eastern Outlook ».

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