10.12.2023 Auteur: Vladimir Terehov

État actuel des relations entre la RPC et l’UE à la veille du sommet

La visite en Chine de Catherine Colonna, ministre française des affaires européennes et étrangères, les 23 et 24 novembre, devrait être la dernière d’une série d’événements avant le (apparemment) 24e « sommet Chine-UE » prévu les 7 et 8 décembre. Il faut noter que ces activités ont commencé à être menées à l’automne de l’année dernière.

Jusqu’à présent, ces « sommets » se sont généralement tenus en été et le fait même que la date du prochain événement ait été repoussée à plusieurs reprises témoigne de la nature complexe de la phase actuelle des relations sino-européennes. Dans NEO, leur situation actuelle a été définie plus d’une fois par le terme « mosaïque ». En d’autres termes, ils présentent à la fois des aspects positifs et négatifs.

Dans ce contexte, on ne peut qu’exprimer à nouveau des doutes sur la productivité des tentatives visant à faire des Etats-Unis la source de tous les problèmes de la phase actuelle du « Grand Echiquier Mondial ». De plus, les actions de politique étrangère menées par Washington au cours de la dernière décennie, indépendamment de l’appartenance partisane de l’administration en place, ont largement constitué une réaction à l’émergence de ces problèmes. Même si la nature de ces « réactions » pourrait bien faire l’objet de débats. Mais surtout au sein de l’opinion publique américaine elle-même, qui n’aura probablement pas besoin d’un avis extérieur à ce sujet.

Les Européens ont leurs propres problèmes face à la deuxième puissance mondiale. Par exemple, au cours de la seconde moitié de la dernière décennie, le « shopping chinois » pour l’achat effectif d’industries technologiquement avancées a suscité une appréhension compréhensible en République fédérale d’Allemagne. Bien que le fameux « facteur américain » ait été présent dans les inquiétudes de Berlin à l’époque, il n’a eu qu’une importance très marginale.

Tout comme aujourd’hui, les tentatives de « réduction des risques » dans des domaines extrêmement sensibles du commerce et de la coopération économique avec la Chine sont motivées par des raisons européennes. Encore une fois, bien que le terme lui-même, qui s’est avéré être une version plus douce du découplage beaucoup plus radical dans son contenu sémantique (« original »), soit apparu aux États-Unis, son utilisation par les Européens n’est pas du tout la conséquence d’une « copie aveugle ». Et encore moins la fameuse « occupation américaine » qui n’existe que dans l’imagination débordante des propagandistes.

De plus, comme les États-Unis, les Européens ont l’effet d’une balance commerciale négative permanente, énorme en nombre (bien qu’une fois et demie plus petite en termes d’échelle) avec la RPC. Un commentaire de l’agence Bloomberg sur le prochain « sommet Chine-UE » montre clairement ce problème. Cela ne peut que susciter l’inquiétude en Europe. Notons qu’aux États-Unis, des préoccupations similaires sont apparues bien plus tôt.

Les problèmes économiques susmentionnés et autres ne sont pas le résultat de la « mauvaise volonté des communistes chinois », mais proviennent de processus tout à fait objectifs dans l’organisme économique mondial. Toutefois, Pékin a toujours manifesté sa volonté d’en discuter et de trouver ensemble les moyens de les résoudre. Malgré la présence croissante de facteurs politiques négatifs dans les relations des États-Unis et de l’UE avec la RPC.

Parallèlement, il convient de noter que les problèmes politiques graves dans ces relations sont également de nature essentiellement objective, c’est-à-dire qu’ils sont déterminés non pas tant par les « mauvaises intentions » (ou même les « intrigues ») de quelqu’un, mais par les particularités de la phase actuelle du « Grand échiquier mondial ». Le nouvel ordre mondial mis en place au cours des deux premières décennies qui ont suivi la fin de la guerre froide subit l’impact d’un processus accéléré d’effondrement et de restructuration. Là encore, ce n’est pas dû à la « mauvaise volonté » de certains, mais à des raisons tout à fait objectives.

Cela semble commencer à être compris à Washington, où jusqu’à récemment on jouait le mantra « Arrêtez le temps (unipolarité), vous êtes merveilleux. »
Paroles d’un médecin qui a voué son âme au diable. Comme dans ce cas, l’état actuel des choses n’est pas du tout « merveilleux », mais très pesant, des soucis pour tout le monde, mais surtout pour ceux qui tentent de se préoccuper du problème aujourd’hui.

La question clé est celle de la nature du « processus de transition » : se déroulera-t-il sous le contrôle des efforts plus ou moins coordonnés de tous les acteurs (mais surtout, bien sûr, des principaux acteurs), ou certains d’entre eux continueront-ils, comme ils le disent, à « s’accrocher » ? Le fameux « piège de Thucydide » (qui n’est pas du tout une loi contraignante) fonctionnera-t-il (cette fois-ci de manière désastreuse pour tout le monde), ou sera-t-il déjoué par des efforts conjoints, répétons-le ?

Il y a de nombreuses zones dans l’ordre mondial moderne où des actions unilatérales qui ne sont pas totalement réfléchies, pourraient déclencher un scénario vraiment catastrophique. Aujourd’hui, Taïwan et la mer de Chine méridionale adjacente sont loin d’être les plus dangereuses de toutes. On ne peut guère douter de la réaction de la RPC aux passages de la déclaration commune adoptée à l’issue du sommet UE-Canada qui s’est tenu à St John’s, au Canada, et qui traitent de la situation dans le Caucase du Sud et autour de Taïwan. Ce document contient également des signaux très positifs adressés à Pékin. Et aussi, si les souhaits sont légitimes (toutefois, en lisant entre les lignes), de connaître l’opinion des Taïwanais eux-mêmes sur leur sort futur.

Mais, nous le répétons, en dépit d’un contexte politique peu confortable, les dirigeants de la RPC sont prêts à engager le dialogue tant avec Washington qu’avec les principaux pays européens. La haute bureaucratie de l’UE à Pékin est traitée avec beaucoup moins d’égards et, à notre avis, de manière tout à fait méritée.

Cette volonté s’est manifestée notamment lors de la tournée du Premier ministre chinois Li Qiang en Europe en juin dernier, qui comprenait des visites dans les principaux pays du continent, c’est-à-dire l’Allemagne et la France.   Il s’est également entretenu avec des hauts fonctionnaires de l’UE.   Il est à noter qu’il s’agissait du premier voyage à l’étranger de Li Qiang  après sa nomination à la tête du gouvernement chinois.

Parmi les déplacements à contre-courant, on se souvient de la visite à Pékin du chancelier allemand Olaf Scholz il y a un an, ainsi que de la visite en Chine du président français Emmanuel Macron six mois plus tard.

Les contacts sino-européens ne se limitent pas à cela. Au cours de l’été de cette année, deux hauts fonctionnaires ont effectué une visite à Pékin en tant qu’envoyés spéciaux du président français et, en octobre, l’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin s’est rendu en Chine (au même titre), où il a été reçu par Wang Yi, le deuxième responsable de la politique étrangère de la Chine. Début novembre, le dirigeant chinois a eu un entretien vidéo avec l’actuel chancelier allemand.

Dans le même temps, les mesures restrictives dans le commerce avec la Chine adoptées par l’UE en mai de cette année (dans le cadre du « derisking » susmentionné) ont conduit Pékin à annuler la visite prévue du chef de la politique étrangère de l’UE, J. Borrell, dans le pays au début du mois de juin.

Enfin, répétons-le, la dernière visite à Pékin a été celle de Catherine Colonna mentionnée au début. Rappelons le caractère officiel de la fonction publique du visiteur français, dont la carrière diplomatique s’est essentiellement intéressée aux différents aspects des affaires du continent européen. Elle a très probablement agi à Pékin à double titre, c’est-à-dire en tant qu’envoyée du président français et de la bureaucratie de l’UE.

Toutefois, à l’heure où nous écrivons ces lignes, la perspective même d’un nouveau « sommet Chine-UE » suscite encore un certain degré de flottement.

Finalement, il semble approprié d’évoquer la place de la Russie à la table du processus évolutif de transformation mondiale, dont certains des éléments les plus significatifs ont été brièvement abordés ici. On ne peut que s’alarmer de l’accent mis sur la « trajectoire spéciale » de la Russie, qui comporte la perspective de se retrouver dans un  » ghetto politique  » volontairement créé. Et non le leader d’une « alliance » mythique impliquant, par exemple, le Sud global. Ce dernier résoudra ses propres problèmes difficiles en puisant des ressources dans n’importe quelle direction. Notamment celles que le fameux « Occident », avec ses principales composantes que sont les États-Unis et l’Europe, ainsi que le Japon, a déjà manifesté son intention de fournir.

La thèse de la  » trajectoire spéciale  » de la Russie est étayée par le concept de  » russophobie « , dont les auteurs ne semblent pas se rendre compte de l’humiliation que représente l’utilisation de ce stigmate à l’encontre d’un grand pays, le rabaissant au niveau d’un enfant offensé dans un bac à sable. Ces deux mythes trouvent leur origine dans les constructions spéculatives de la seconde moitié du XIXe siècle sur la « sainte Russie », qui s’oppose à l' »Occident » depuis des siècles. Même dans ces conditions, ils n’avaient rien à voir avec la situation réelle, tant à l’intérieur de l’Empire russe que dans les régions avoisinantes.

Dans le même ordre d’idées, le processus de longue date consistant à réduire presque tous les problèmes russes à la situation en Ukraine, ce bourbier local sur le sol de l’Europe. Les problèmes de l’Ukraine d’aujourd’hui qui deviennent critiques ne relèvent pas du domaine de la « menace du fascisme » (également mythique). Ils sont dus à une nouvelle aggravation de la maladie nationale en l’honneur d »Ivan Mazepa ». Il semble que le peuple ukrainien, qui souffre depuis longtemps, paiera à nouveau (comme il y a 300 ans) un lourd tribut pour le futur remède.

La « voie russe » est aussi « spéciale » que toutes les autres : la voie « américaine », la voie « chinoise », la voie « indienne », la voie « japonaise », la voie « britannique », la voie « allemande », la voie « française », la voie « zimbabwéenne »,… Et toutes diffèrent les unes des autres à un degré ou à un autre. Le problème essentiel est, répétons-le, de concilier toutes ces « particularités » d’une manière qui ne soit pas trop antagoniste. En établissant notamment des contacts avec ceux qui représentent actuellement officiellement un joueur, c’est-à-dire sans attendre que le « meilleur » se présente.

Le développement des relations sino-européennes montre à l’évidence qu’il s’agit d’un processus extrêmement difficile, même s’il existe un désir mutuel d’y aboutir.

 

Vladimir Terekhov, expert des problèmes de la région Asie-Pacifique, exclusivement pour le magazine en ligne  «  New Eastern Outlook ».

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