Malgré les tendances de crise variées et profondément enracinées dans son développement, le « durcissement » de cette organisation contre la Russie, surtout après le début l’opération militaire spéciale et les évènements en Ukraine en général, l’OSCE reste cependant pour nous aujourd’hui la seule plateforme européenne de diplomatie multilatérale. Gardant à l’esprit que l’organisation a été créée en tant que forum de dialogue politique égal et de prise de décision collective sur les questions de sécurité les plus importantes pour ses participants et, partant du fait que les points forts de l’OSCE résident dans sa large composition (57 États) et son approche globale de la sécurité, la Russie continue d’envisager cette structure comme un outil de dialogue important et unique en son genre dans le système des institutions européennes. Sur fond d’effondrement complet de nos relations avec l’Union européenne et l’OTAN et le retrait du Conseil de l’Europe, la Russie souhaite restaurer la fonction originale de l’OSCE, mise à mal par les efforts des Occidentaux, en tant que l’un des principaux forums pour un dialogue égal et mutuellement bénéfique et pour l’élaboration collective de décisions consensuelles sur de nombreuses questions clés pour la sécurité paneuropéenne. C’est pourquoi, malgré la crise d’identité évidente de l’organisation et de son glissement à l’écart de la politique européenne, la Russie, avec sa participation au Conseil ministériel de l’OSCE à Skopje, a une fois de plus essayé de la sauver de la perte totale de poids et d’autorité, de son effondrement proprement dit.
La route vers Skopje pour la délégation russe n’a pas été facile mais au contraire épineuse. Jusqu’au dernier moment, les opposants à la participation personnelle de Sergueï Lavrov à la réunion ministérielle, comme cela s’est déjà produit l’année dernière sous la présidence polonaise de l’OSCE, ont espéré que le précédent serait répété et que notre ministre ne se rendrait pas à Skopje. Cependant, en dépit de divers obstacles, la délégation russe a participé à la session du trentième anniversaire du Conseil ministériel. Il est clair que la décision d’autoriser le ministre Lavrov à assister à cet événement n’a pas été prise par la présidence nord-macédonienne de l’OSCE, mais par ses protecteurs (les Américains et l’UE), qui ont réalisé que seule la participation personnelle d’un ministre aussi respecté les aiderait à empêcher l’effondrement final de l’organisation, à élire le prochain président de l’OSCE pour 2024, à reconduire les quatre principaux dirigeants (le secrétaire général de l’OSCE et les chefs de ses principales institutions) et à essayer de « faire passer » le budget pour l’année prochaine, bloqué par la Russie et la Biélorussie, étant donné que l’organisation serait condamnée à cesser ses activités à défaut de l’adopter.
L’Estonie russophobe, dont la candidature a été soutenue principalement par les Anglo-Saxons et l’UE, a longtemps été en lice pour la prochaine présidence de l’OSCE, mais pour des raisons évidentes, elle a été rejetée par la Russie et la Biélorussie. D’autres membres de l’OTSC et de la CEI se sont malheureusement rangés derrière le point de vue de la majorité. En raison de la pression du temps, nous avons commencé à chercher d’urgence un autre candidat plus neutre et plus acceptable pour nous, comme la Suisse ou l’Autriche, mais c’est finalement Malte qui s’est présentée, sachant que l’Estonie ne passerait pas. L’Occident s’est également fortement inquiété des objections de la Russie à sa proposition de prolonger de trois ans les mandats de l’Allemande Helga Schmid, secrétaire générale de l’organisation, et des chefs des institutions spécialisées, qui expirent à la fin du mois de décembre.
Il s’agit notamment du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH), dirigé par l’Italien Matteo Meccaci depuis 2020 ; du Bureau du Haut-Commissaire pour les minorités nationales (HCNM), dirigé par l’ancien ministre kazakh des affaires étrangères Kaïrat Abdrakhmanov depuis 2020 également ; et du Bureau du représentant pour la liberté des médias, dirigé par Teresa Ribeiro du Portugal. Compte tenu de l’orientation politisée et anti-russe des institutions elles-mêmes et surtout de leurs dirigeants (à l’exception, peut-être, dans une certaine mesure, de M. Abdrakhmanov), la Russie a proposé de réélire le secrétaire général et les dirigeants des institutions sur une base alternative, mais elle n’a pas été entendue par les Occidentaux, qui ont insisté sur une solution globale et non alternative. En cas de refus de la part de la Russie et de la Biélorussie, l’option d’une extension technique de tous pour une période d’un an, telle que prévue dans les règles de procédure de l’OSCE, a été proposée.
C’est ainsi que, dans le souci de faire valoir ses positions, l’Occident collectif, contrairement à l’année dernière, a néanmoins accepté le survol du territoire de l’Union européenne par l’avion spécial du ministre et sa participation au Conseil ministériel, en espérant, semble-t-il, que la Russie serait prête à prendre les décisions qui s’imposent. Cependant, l’Ukraine, la Pologne et les trois États baltes n’ont pas accepté cette approche, refusant d’envoyer leurs ministres à Skopje en guise de démarche, ce qui n’a toutefois pas affecté la ligne générale et offensive des Occidentaux, qui critiquent vivement l’opération militaire de la Russie, soutiennent inconditionnellement l’Ukraine et font valoir leur propre position en dépit des Russes et des Bélarussiens. Et ce, à un moment où l’OSCE perd de plus en plus de crédibilité et d’autorité, cesse d’être un forum unificateur et même au contraire : elle est devenue essentiellement un appendice de l’UE et de l’OTAN, elle est en crise et dans un état déplorable, et la question de sa survie se pose avec acuité. Le ministre Lavrov a mille fois raison lorsqu’il affirme que l’organisation est au bord du gouffre, qu’elle dégénère, qu’elle « s’est transformée en quelque chose qui suscite l’indifférence quant à son avenir et à l’intérêt de s’efforcer de la sauver ». En résumé, l’OSCE est à la croisée des chemins et son avenir dépend de plus en plus de la volonté et de la capacité des partenaires à s’adapter aux réalités d’aujourd’hui et à ramener l’organisation à son objectif initial. Pendant ce temps, les Occidentaux poursuivent leur ligne de conduite destructrice, détruisant et démantelant l’OSCE sans tirer aucune leçon de l’échec de leurs tactiques. C’est sur cette politique de confrontation
des Occidentaux que Sergueï Lavrov a attiré l’attention lors de la réunion du Conseil ministériel et de la conférence de presse, notant en particulier la dégradation complète de tout ce qui avait été créé au sein de l’organisation dans les trois dimensions de la sécurité – politico-militaire, économique et environnementale, et humanitaire et des droits de l’homme. Au lieu de faire preuve d’une approche constructive pour sauver cette organisation, les représentants occidentaux, dans leurs discours lors de la réunion, ont davantage parlé de « l’agression russe en Ukraine » et ont appelé à l’expulsion de notre pays de l’OSCE. Parallèlement, il convient de noter que deux représentants clés de la campagne antirusse : le secrétaire d’État américain Blinken et le chef de la diplomatie de l’UE Borrell ont préféré battre en retraite et ont quitté Skopje avant le début de la session plénière du Conseil ministériel. Ils étaient moins préoccupés par le sort de la sécurité européenne et de l’organisation elle-même que par les questions organisationnelles et techniques, sur lesquelles ils ont concentré toute leur attention.
À la suite des discussions sur la future présidence de l’OSCE pour 2024, la Russie a finalement accepté la candidature de Malte. Les autrichiens et les suisses ne se sont jamais présentés. Il a fallu tenir compte du fait que Malte n’est pas officiellement membre de l’OTAN, bien qu’elle coopère étroitement avec cette organisation. Quant au mandat du secrétaire général de l’OSCE et des chefs des trois institutions clés de l’OSCE, nous avons accepté une prolongation de neuf mois seulement et avons appelé à une réélection du quatuor en septembre prochain. Depuis 2021, nous refusons de voter pour l’adoption d’un budget complet de l’organisation sans tenir compte de nos propositions et, à Skopje, les Occidentaux n’ont pas réussi à persuader la Russie et le Belarus d’abandonner leur position de principe. L’OSCE va continuer à fonctionner sur la base d’un régime budgétaire temporaire pour le moment, et avant la fin de l’année, les représentants occidentaux ne manqueront pas de faire de nouveaux efforts pour résoudre cette question.
Il faut noter la déclaration faite à la fin de la réunion ministérielle par le président en exercice de l’OSCE, le ministre des affaires étrangères de Macédoine du Nord, Osmani, selon laquelle la discussion sur l’exclusion de la Russie de cette organisation s’était épuisée, expliquant que le principe du consensus universel ne marcherait pas sans la Russie.
Ce sont les quelques points qui ont fait l’objet d’un accord à Skopje. Ce n’est pas la première année que, contrairement aux années précédentes, le Conseil ministériel n’a pas adopté de décisions sur le travail de l’OSCE dans l’un des trois domaines principaux de ses activités, ce qui atteste une fois de plus de la crise et de la dégradation de l’organisation. Après la réunion ministérielle, les chefs de délégation des États membres de l’OTSC ont adopté une déclaration commune appelant à la nécessité d’accroître l’efficacité de l’OSCE, de rechercher et de promouvoir des thèmes unificateurs positifs et d’entamer un dialogue désidéologisé et pragmatique sur la résolution des problèmes de sécurité communs.
Dans un an, en 2025, l’Acte final d’Helsinki aura 50 ans et il a déjà été décidé que la Finlande assurerait la présidence de l’OSCE au cours de cette année anniversaire. Il convient toutefois de noter que c’est dans un état de détresse et de crise que l’organisation aborde ce moment capital et que les perspectives d’une action fructueuse et unificatrice en vue de renforcer la coopération sur le continent restent faibles, car elle se trouve, en fait, au bord du gouffre. Si elle ne prend pas en compte les intérêts mutuels et si elle ne dote pas ses travaux d’un programme unificateur positif, l’OSCE est vouée à l’effondrement.
Anvar Azimov, Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, chercheur principal à l’université MGIMO, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook ».