La coopération dans le domaine de l’égalité des sexes et de l’émancipation des femmes est récemment devenue l’une des principales questions abordées dans les déclarations conjointes des représentants mongols avec leurs homologues étrangers, ainsi que dans les thèmes des négociations bilatérales et multilatérales auxquelles la Mongolie participe. Ainsi, en seulement deux jours (les 20 et 21 novembre 2023), ces sujets ont été évoqués à cinq reprises sur le principal portail d’information du pays, le site Montsame, dont quatre dans un contexte de politique étrangère. Cette problématique a été formalisée :
-Dans le texte de la déclaration commune des ministres des affaires étrangères de la Mongolie et du Canada (suite à la visite du ministre mongol à Ottawa)
-Lors de la rencontre entre le Président du Parlement G. Zandanshatar et le Député M. Singh, en partance pour New Delhi en vertu de la fin de son mandat d’ambassadeur de l’Inde en Mongolie.
-Lors de la rencontre entre le ministre des Affaires étrangères de Mongolie, B. Battsetseg et le ministre canadien de la coopération internationale au développement, Ahmed Hussen.
-Lors de la rencontre entre le ministre des Affaires étrangères de Mongolie et Greg Fergus, président de la Chambre basse du Parlement canadien.
Parallèlement, la situation de l’égalité des sexes et de l’émancipation des femmes fera pour la première fois l’objet d’une étude par une commission spéciale du parlement mongol. Cette décision a été annoncée le 21 novembre par le chef de la commission parlementaire des droits de l’homme et par le chef adjoint de l’administration parlementaire. Pour la concrétisation de cette « expertise », les parlementaires mongols seront assistés par des représentants d’une agence de développement suisse, d’anciens parlementaires de plusieurs pays occidentaux et d’experts de l’Union parlementaire internationale. Cette procédure sera l’une des premières du genre à l’échelle mondiale.
À cela s’ajoute le fait que le premier forum international « Trans-Altai Sustainability Dialogue » s’est tenu à Oulan-Bator cet été, avec pour thème principal le fameux problème de l’égalité des sexes. D’ailleurs, il a été annoncé dernièrement qu’un deuxième forum de « dialogue » se tiendrait l’année prochaine. L’initiative de la Mongolie d’organiser un « Forum mondial des femmes » en 2024 constitue une nouvelle page de la promotion de l’égalité des sexes dans l’arène internationale.
La ministre mongole des affaires étrangères, Mme Battsetseg Batmunkh, a elle-même joué un rôle important dans le développement de cette question en qualifiant ces activités de « diplomatie féministe » et en soulignant que son pays est le premier en Asie à l’utiliser activement dans sa politique étrangère. Le 2 septembre, elle s’est exprimée sur l’inégalité des sexes et l’émancipation des femmes lors de la conférence en ligne du mouvement Global Citizen. De plus, la ministre a participé très activement à la réunion des femmes ministres des affaires étrangères qui s’est tenue cette année en Mongolie. Au début du mois de novembre de cette année, elle a lancé l’initiative « Elle pour lui » lors d’une réunion du groupe de travail sur les droits de l’homme, afin de lutter contre les phénomènes négatifs liés au statut des hommes dans la société mongole.
Comme indiqué précédemment dans ce magazine, la situation des femmes en Mongolie, bien que loin d’être idéale, n’est pas un problème aussi important qu’il ne l’a été récemment. Cela soulève la question de l’objectif de ce sujet et du discours qui lui est associé, en particulier dans le cadre de la politique étrangère du pays. À quelles fins la Mongolie peut-elle promouvoir cette question dans le cadre de ses événements et initiatives internationaux ?
Avant tout, il convient de noter dans la diplomatie « féministe » de la Mongolie la volonté du pays de s’engager dans le plus large éventail possible de questions intéressant les partenaires occidentaux du pays afin de développer des relations avec eux. Les questions d’inégalité entre les sexes dans la politique étrangère de la Mongolie et dans l’agenda international global impliquent la participation active de représentants d’États occidentaux. Compte tenu du désir de la Mongolie de tisser des relations avec les « troisièmes voisins », ce thème peut servir de contenu sémantique aux contacts et aux interactions avec les pays occidentaux, ce qui est clairement perceptible, au moins dans les détails susmentionnés de la visite de B. Battsetseg au Canada. Le prétexte de la « solidarité des femmes » et de la discussion des questions relatives aux femmes pour les entretiens du ministre mongol des affaires étrangères avec des représentantes de haut niveau peut s’avérer efficace, tant pour justifier les raisons des échanges accrus avec les partenaires occidentaux face aux voisins immédiats du pays, que pour l’accroissement même de ces échanges avec les pays occidentaux. La pertinence de ce prétexte est particulièrement accentuée par le développement dynamique de formats multilatéraux internationaux avec la participation de femmes politiques.
Ce phénomène de la politique étrangère de la Mongolie peut également être considéré comme une mesure efficace et fiable pour développer le « soft power » de la Mongolie. L’implication d’un petit État asiatique dans les tendances culturelles et idéologiques du monde occidental contribue à améliorer l’image du pays sur la scène internationale, ainsi que dans la conscience de masse d’une partie importante de la population mondiale. D’ailleurs, le « féminisme » et les « questions de genre » sous leur forme actuelle sont les plus inoffensifs de ces courants par rapport aux valeurs traditionnelles de la nation mongole, qui jouent encore un rôle important, y compris dans les plates-formes politiques et idéologiques des plus grands partis et mouvances politiques du pays.
La diplomatie féministe permet également d’atteindre un objectif important en matière de politique étrangère, comme l’augmentation de la participation de la Mongolie aux organisations internationales, en particulier aux Nations unies. Le fait que la petite Mongolie mette à disposition un nombre important de soldats de la paix pour les contingents de l’ONU ne serait pas aussi médiatisé que le fait que c’est la Mongolie qui compte la plus grande proportion de femmes de tous les contingents nationaux. La participation proactive de ce pays asiatique aux programmes des Nations unies en faveur des droits de la femme pourrait également renforcer l’importance de la Mongolie en tant que petit État au sein des organisations internationales.
Mais ce processus d' »émancipation de l’émancipation » dans la politique étrangère de la Mongolie a un côté beaucoup moins favorable. L’accent mis sur la formation d’une large couche de « jeunes femmes leaders » dans les pays en développement est depuis longtemps considéré comme une priorité de politique étrangère pour les États-Unis d’Amérique et d’autres pays occidentaux, afin de constituer une classe de personnalités politiques et publiques loyales dans ces pays. Dans le cas de la Mongolie, cette stratégie remonte au milieu des années 2000. Dans des déclarations divulguées par les anciens ambassadeurs américains en Mongolie Pamela Slush et Michael Milton, qui décrivent les femmes dirigeantes comme « notre public cible, qui sera probablement bientôt au pouvoir et avec qui nous avons de bonnes relations », et des événements tels que l’abolition du quota de femmes au parlement mongol, qui sont très inquiétants pour des raisons politiques plutôt que sociales.
Boris Kushkhov, département de la Corée et de la Mongolie de l’institut d’études orientales de l’académie des sciences de Russie, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook ».