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Bilan du sommet de l’Organisation des États turciques : initiatives des dirigeants et nouveaux défis

Boris Kushhov, 01 décembre 2023

Le 3 novembre 2023, le sommet du 10e anniversaire de l’Organisation des États turciques (OET) a débuté à Astana, la capitale du Kazakhstan. Kassym-Jomart Tokaïev, président du Kazakhstan, a assisté au sommet, ainsi que le président turc Recep Erdogan, le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev, le président kirghize Sadyr Japarov et le président ouzbek Shavkat Mirziyoyev. Des représentants des pays observateurs de l’OET, à savoir le président du Conseil du peuple du Turkménistan, Gurbanguly Berdimuhamedow, et le premier ministre hongrois, Viktor Orban, ont également été présents au sommet.

Le slogan « L’ère turque », choisi par les participants comme devise du sommet coïncidant avec le 10e anniversaire de l’Organisation, illustre de manière frappante l’étendue des espoirs et des attentes des États turciques en ce qui concerne le développement de leur coopération dans des formats multilatéraux, ainsi que la croissance significative de la prise de conscience internationale et politique des peuples turciques.

Au cours du sommet, les participants ont activement contribué à la discussion générale avançant des projets dans divers secteurs d’importance potentielle pour le développement de la coopération entre les pays membres de l’organisation. Malgré la nature généralement mutuellement bénéfique de ces propositions, une grande partie d’entre elles contient un message non évident de certains pays et dirigeants visant à renforcer leur influence et leur autorité dans le cadre de l’espace turcique politico-international, qui s’est activement développé au cours des dernières années.

Le président de l’Ouzbékistan, Shavkat Mirziyoyev a formulé un certain nombre de propositions ambitieuses, allant de la création d’une « banque turque » chargée de prêter aux projets internationaux communs des États turciques à la création d’une direction chargée de la coordination des interactions en matière de transport ferroviaire, sans oublier l’élaboration et l’adoption d’une charte du monde turcique. Les grandes ambitions de l’Ouzbékistan au sein de l’Organisation sont clairement visibles : la capitale, Tachkent, a été proposée pour accueillir la banque et l’organe de coordination des transports ferroviaires.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a également apporté une contribution notable à la discussion en suggérant à ses collègues l’idée de créer un alphabet turcique unifié. Il est très vraisemblable que c’est l’alphabet turc actuel, qui utilise des lettres latines et a été développé avant la formation des républiques turques post-soviétiques modernes, qui leur sera proposé comme « modèle initial ». Ce scénario pourrait être perçu comme une mesure visant à renforcer l’influence culturelle et linguistique de la Turquie dans le monde turcique.

 Le président kirghize Sadyr Japarov, manifestement désireux d’attirer dans sa république les investissements des pays turciques les plus développés, a proposé d’organiser un forum d’affaires de l’OET à Bichkek en 2024. L’année prochaine marquera d’ailleurs l’année de la présidence du Kirghizstan au sein de l’organisation. Par ailleurs, Sadyr Japarov a subtilement exprimé sa revendication d’un rôle particulier pour son État, en proposant de proclamer la ville kirghize de Jalal-Abad « Centre du monde turcique », en se référant à des circonstances historiques objectives.

Le président de la République d’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, a rappelé à ses collègues la nécessité de renforcer la coopération militaro-technique et la coopération en matière de sécurité.

Le président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, a parlé de la nécessité de promouvoir la marque « Monde turcique » et a appuyé la décision du sommet d’accorder à Astana le statut de centre financier du monde turcique.

Le sommet d’Astana de l’OET, même s’il a donné lieu à un échange intensif de propositions, a mis en évidence certains obstacles et défis au développement fructueux des activités de l’organisation :

L’importance accrue des interactions de l’OET avec les pays tiers pour la mise en œuvre de projets individuels dans le domaine des transports et des infrastructures. Ici, en particulier, nous parlons du Turkménistan, qui a le statut d’observateur, ainsi que de la Géorgie et de l’Arménie. Elle est particulièrement pertinente dans le contexte de la mise en œuvre prospective de la route internationale de transport transcaspienne et du corridor mer Caspienne-mer Noire. Des perspectives de coopération en matière de transport et d’infrastructures existent en effet avec ces pays, notamment dans le contexte de la désescalade du conflit arméno-azerbaïdjanais en 2023, de la participation active du Turkménistan au 10e sommet de l’OET, ainsi que du développement du partenariat entre la Géorgie et la Chine (l’un des acteurs clés de tous les corridors eurasiatiques). D’autres options pour l’itinéraire du corridor entre l’Asie centrale et la Turquie impliqueront également une interaction active entre les OET et l’Iran et, dans ce cas, l’interaction des parties au sein d’une autre structure internationale, l’Organisation de coopération économique, dont, outre les États turciques, la République islamique d’Iran fait partie, pourrait être mise en avant. Les premiers pas notables dans cette direction des « interactions extérieures » ont d’ailleurs été faits pendant le sommet – ainsi, suite aux résultats de la réunion d’Astana, les membres de l’OET ont signé une « Décision sur l’octroi à l’État du statut d’observateur de l’Organisation de coopération économique au sein de l’Organisation des États turciques ». En ce qui concerne la question turkmène, les pays de l’OET ont déclaré à plusieurs reprises leur désir collectif de s’engager avec le Turkménistan en tant que membre de l’organisation, mais les dirigeants du pays restent silencieux sur leurs plans visant à améliorer leur statut au sein de l’organisation.

Il demeure des obstacles à la conclusion d’accords commerciaux et douaniers au sein de l’OET en raison de la participation d’une partie des membres de l’organisation à l’UEEA. L’activation de l’interaction sur les questions commerciales et économiques de l’Organisation des États turciques a commencé après un processus similaire au sein de l’UEEA. Certains accords prometteurs proposés ces dernières années pour approfondir la coopération commerciale entre les pays membres de l’OET sont de plus en plus souvent en conflit avec les accords déjà conclus au sein de l’UEEA qui concernent les politiques douanières des pays membres des deux organisations, tels que le Kazakhstan et le Kirghizstan. En raison de l’absence de projets de jumelage des deux initiatives du fait de leur nature partiellement concurrentielle, ainsi que du poids important de la Russie dans le chiffre d’affaires du commerce extérieur du Kazakhstan et du Kirghizstan, les perspectives d’« harmonisation » de ces divergences semblent plutôt floues.

Les difficultés prévisibles de l’engagement de l’Organisation avec l’UE en raison des positions divergentes des parties sur le conflit israélo-palestinien, qui s’est à nouveau intensifié en octobre de cette année. Les États membres de l’OET, sur la base du principe de solidarité religieuse, ainsi qu’en vertu de leur soutien à la résolution de l’ONU de 1947 établissant l’État palestinien, adoptent une position très distincte de la position européenne sur le conflit. Les répercussions de cette situation sur les interactions entre les deux parties pourraient également être indirectement retracées dans le contexte tendu des pourparlers entre le président turc Erdogan et le chancelier allemand Scholz lors de sa visite à Berlin le 17 novembre.  Il convient de noter qu’une grande partie des projets de transport, d’infrastructure et d’énergie discutés au sein de l’organisation sont, d’une manière ou d’une autre, liés à l’interaction des États membres avec les pays de l’UE.

 

Boris Kushkhov, département de la Corée et de la Mongolie de l’institut d’études orientales de l’académie des sciences de Russie, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook ».

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