28.09.2023 Auteur: Vladimir Terehov

Quelques résultats du dernier voyage à l’étranger du Président des États-Unis

Le voyage à l’étranger du Président américain Joseph (Joe) Biden, du 7 au 11 septembre, a été marqué par deux événements tout aussi remarquables, dont l’importance est déterminée par un facteur commun, qui se résume à la confrontation globale entre Washington et la deuxième puissance mondiale, qui est d’ores et déjà la Chine.

C’est à ce titre qu’il faut considérer les résultats du dernier « sprint de cinq jours » du Président américain avec deux étapes principales qui se sont avérées être l’Inde et le Vietnam. Bien qu’extérieurement et formellement, l’objectif principal de cet événement de politique étrangère de l’actuelle première puissance mondiale ait été déclaré comme étant la participation au sommet « calendaire » de la plateforme gagnant en poids international sous la forme de la configuration du G20, il n’en reste pas moins que le Président américain n’ait pas été le seul à participer à ce sommet.

Et l’attention des médias mondiaux s’est presque concentrée sur les résultats d’une lutte de plusieurs jours en coulisses pour la formulation du paragraphe de la vaste déclaration du dernier sommet du G20, qui concernait la situation de la formation (quasi-)étatique « Ukraine », unique dans l’espace politique mondial actuel (et, peut-être, dans l’histoire du monde dans son ensemble). Le statut réel de cette entité correspondrait mieux à la définition d’une « société militaire privée » dotée d’une direction (autochtone) qui loue sa population contrôlée à des acteurs fortunés. En tant que matériel non remboursable.

De l’avis de l’auteur, toutes ces « passions autour de l’Ukraine » acquièrent de plus en plus le caractère d’un « bruit d’information », empêchant de concentrer l’attention sur le contenu principal de la phase actuelle du « Grand jeu mondial », qui, nous le répétons, se réduit à la confrontation susmentionnée entre les deux principales puissances mondiales. De ce point de vue, le principal résultat de la visite de Joe Biden en Inde n’est pas le contenu du document déclaratif du G20, mais la déclaration faite par le Premier ministre indien Narendra Modi en marge de l’événement sur le lancement du projet international visant à créer le corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe (IMEC). Les dirigeants du Royaume d’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de l’Inde, de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, des États-Unis et de l’Union européenne (UE) participant au sommet du G20 ont signé l’accord.

Bien que les États-Unis ne soient pas mentionnés dans le titre de ce projet, mais le même Joe Biden a utilisé des épithètes bruyantes pour définir ce fait précis. Il a notamment parlé de son importance « historique » et d’un « monde qui se trouve à un tournant de l’histoire ». Ces mots ne sont pas du tout accidentels, étant donné certaines circonstances remarquables des premiers mois de l’administration américaine actuelle, qui ont déjà été notées dans NPO à l’époque.

À ce moment-là (c’est-à-dire au premier semestre 2021), Washington avait enfin compris quel était exactement le contenu principal du défi lancé à la position mondiale des États-Unis (et du fameux « Occident » en général) par l’émergence de la Chine en tant que deuxième puissance mondiale. Ce défi n’est pas tant lié à la formation par Pékin d’une puissante machine militaire (bien qu’il s’agisse également d’une puissante machine militaire), mais plutôt à son succès dans la mise en œuvre du projet mondial de l’initiative « la Ceinture et la Route ».

Annoncé en 2013 par Xi Jinping, qui venait de prendre la tête de la République populaire de Chine, le projet BRI (en fait, il a été mis en œuvre sous une forme ou une autre pratiquement depuis le début des années 2000) a assuré une forte augmentation du rôle de Pékin dans la plus grande partie de l’humanité, qui est aujourd’hui communément désignée par le terme « Sud global ». En outre, contrairement aux méthodes occidentales de « maîtrise » de ce même « Sud global » il y a un siècle, la Chine l’a fait avec l’approbation totale de l’Occident.

Ce processus s’est développé de manière relativement imperceptible et, répétons-le, ce n’est qu’au début de cette décennie que les États-Unis ont pris conscience de l’ampleur de ses conséquences politiques mondiales évidentes. C’est apparemment à ce moment-là que les mots sacramentels ont été prononcés: « C’est donc là que se cachait mon malheur ».  Et pas dans les porte-avions chinois (« Sarmato-Poseidon-Hypersonic »). Par conséquent, en réponse au BRI, le « consensus de Cornouailles » a été formulé à l’été 2021 à l’initiative de la nouvelle administration américaine. Quelques mois plus tard, un projet distinct similaire a été annoncé au nom de l’UE. C’est pourquoi la lutte d’influence dans le « Sud global » a occupé le devant de la scène lors du dernier sommet du G7, la configuration qui réunit (encore dans une certaine mesure) les principaux pays occidentaux.

D’ailleurs, avec cette dernière remarque à l’esprit, il est intéressant d’observer la décision à venir de l’Italie (qui a signé l’IMEC à New Delhi) sur le problème de l’expiration de sa participation actuelle au projet BRI à la fin de la période en cours. Parmi les membres du G7, l’Italie est le seul pays de ce type. Jusqu’à présent, Rome est le témoin d’une véritable lutte italienne des passions sur cette question. Entre-temps, Pékin n’a pas perdu l’espoir de voir le bon sens l’emporter. Nous verrons bien.

Quoi qu’il en soit, le fait même que le projet IMEC dont il est question ici ait été adopté en marge du dernier sommet du G20 doit être considéré comme la première manifestation concrète de l’intention (assez générale depuis l’été 2021) de l' »Occident généralisé » de s’opposer à la BRI de la Chine dans le Sud global. En l’occurrence, il s’agit de l’Inde et des deux principaux pays arabes.

L’appréciation de ces derniers sur le fait même de la signature de l’IMEC est à souligner. De toute évidence, elle repose sur le désir de l’écrasante majorité des pays du « Sud global » de développer des relations constructives (dans leur propre intérêt) avec tous les principaux participants à l’étape actuelle du « Grand jeu mondial ». Tant avec les anciens colonisateurs qu’avec ceux qui se sont alors positionnés comme décolonisateurs. Ceci est lié à l’attitude tout aussi positive de l’auteur du commentaire d’Arab News à l’égard de l’IMEC et du l’BRI, ainsi qu’à l’espoir d’une combinaison productive de ces deux projets (en réalité concurrents).

Ajoutons que seule une perspective conditionnée par de tels espoirs permettra d’éviter la formation de nouvelles lignes de fracture mondiales, qui conduisent presque toujours à des catastrophes politiques (mondiales). Sinon, se réalisera le rêve (exprimé étonnamment assez ouvertement) des provocateurs d’un nouveau massacre mondial, qui agissent déjà simultanément à partir de différents camps belligérants. Comme ce fut d’ailleurs le cas à la veille des deux précédentes Guerres mondiales.

Enfin, attardons-nous brièvement sur les résultats du séjour du Président américain au Viêt Nam, deuxième (non moins, répétons-le, remarquable) étape de la tournée dont il est question. La motivation de l’attention accrue portée par Washington à ce pays, ainsi qu’à un certain nombre d’autres sous-régions de l’Asie du Sud-Est, et au Viêt Nam dans son ensemble, a été discutée plus d’une fois au sein de la NPO ces derniers temps. La principale composante de cette motivation est, répétons-le, le même facteur que celui de la confrontation des États-Unis avec la République populaire de Chine. Différents types de difficultés (y compris historiques) dans les relations de Pékin avec Hanoï (Manille, Jakarta) sont utilisés.

Dans le processus de développement des relations américano-vietnamiennes, la visite à Hanoi au cours de l’été 2021 de Lloyd Austin, secrétaire américain à la Défense, a été importante. Cependant, la première visite d’un Président américain au Viêt Nam dans l’histoire moderne marque sans aucun doute le début d’une nouvelle étape qualitative dans les relations bilatérales.

L’événement principal de cette visite a été la rencontre de l’invité avec le secrétaire général du parti communiste vietnamien Nguyen Phu Trong, qui a abouti à l’adoption d’une déclaration conjointe détaillée établissant un « partenariat stratégique global » bilatéral. Par ailleurs, attirons l’attention sur le fait que dans le message de la Maison Blanche concernant la réunion, lors de la désignation du poste de l’interlocuteur de Joe Biden, la désignation «Secrétaire générale» a été omise. En effet, il vaut mieux s’abstenir de mentionner que son principal communiste est le leader du pays dont les États-Unis ont désespérément besoin.

Dans le document spécifié, la visite de Joe Biden au Viêt Nam a été qualifiée d' »historique » et, à l’issue de celle-ci, les parties ont exprimé leur intention de « s’efforcer conjointement d’atteindre des objectifs communs de paix, de prospérité et de développement durable ». Le préambule du document mentionne également que Washington et Hanoï sont membres du Cadre économique indo-pacifique pour la prospérité (IPEF), une configuration régionale formée par le premier en mai 2022 avec une orientation manifestement anti-chinoise.

Entre autres, la volonté de Washington d’impliquer le Viêt Nam (ce qui avait déjà été noté dans la politique de la direction indienne) dans le processus de retrait de la Chine de la chaîne logistique internationale qui assure la production de semi-conducteurs modernes a également attiré l’attention.

Bien entendu, le Viêt Nam n’aurait pas compris ses dirigeants si ce document historique n’avait pas mentionné une série de problèmes persistants liés à l’utilisation par les troupes américaines, il y a un demi-siècle, de divers types de réactifs chimiques dans la lutte contre les insurgés vietnamiens. De son côté, Washington, dans l’optique de garantir les intérêts américains à long terme au Viêt Nam, estime qu’il est extrêmement important d’esquisser au moins des mesures visant à neutraliser éventuellement la « mine à retardement » que constitue l’existence même de ce problème. C’est pourquoi une partie spéciale du document final est consacrée à ce sujet.

Dans l’ensemble, la tournée à l’étranger de l’actuel Président américain, dont il a été question, pourrait bien être considérée par lui comme productive du point de vue de la réalisation de certains objectifs de politique étrangère pour les États-Unis. Toutefois, il n’y a guère de réponse précise à la question de savoir comment les résultats de cette tournée affecteront le développement des relations du pays avec son principal adversaire géopolitique.

En effet, il existe encore trop de facteurs d’incertitude dans les relations entre les États-Unis et la Chine et dans l’ensemble de l’arène politique mondiale.

 

Vladimir Terekhov, expert des problèmes de la région Asie-Pacifique, spécialement pour la revue en ligne « New Eastern Outlook« 

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