21.09.2023 Auteur: Vladimir Terehov

Sur les derniers signaux dans les lignes de communication entre la Chine et le Japon

Comme l’a noté à plusieurs reprises New Eastern Outllook (NEO), le fonctionnement des lignes de communication entre les principaux participants à la phase actuelle du « Grand jeu mondial » est une condition nécessaire et un signe que le processus du jeu se poursuit au moins. En d’autres termes, malgré les problèmes émergents, les joueurs adhèrent toujours aux accords passés et ne renversent pas la table de jeu afin de « poursuivre la politique par d’autres moyens ».

En même temps, la nature des signaux accessibles à l’observation extérieure, qui suivent les lignes mentionnées ci-dessus, permet de juger de l’état actuel des relations entre les principaux acteurs et des perspectives les plus proches. Ces derniers comprennent sans aucun doute la République populaire de Chine (RPC) et le Japon. Et l’importance des relations bilatérales entre ces deux pays ne fera que croître avec le temps. De même que les deux autres côtés du triangle stratégique RPC-Japon-Inde.

En attendant, le tableau général des relations entre le Japon et la Chine n’est pas encourageant, c’est le moins que l’on puisse dire. Et cela vaut pour la quasi-totalité de ses fragments. Parmi ceux-ci, celui lié au processus d’évacuation de plus d’un million de mètres cubes d’eau utilisée dans les réacteurs endommagés de la centrale nucléaire de Fukushima 1, qui a été lancé à la fin du mois d’août, a pris une importance particulière au cours des derniers mois. Ce dernier a été rempli jusqu’à présent d’un millier de conteneurs spéciaux.

Les préparatifs de cette action continuent d’être suivis avec plus ou moins d’inquiétude dans tous les pays voisins. Mais la RPC a exprimé son désaccord de manière particulièrement nette, officielle et publique. Dans le même temps, ils rejettent les affirmations des dirigeants japonais (qui, à leur tour, se réfèrent à divers avis « faisant autorité », tels que ceux de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA)) concernant le « niveau nécessaire de purification » de l’eau recueillie dans les conteneurs. De son côté, Tokyo préfère ne pas réagir au « conseil » de ne pas déverser l’eau « bien traitée » dans l’océan, mais de l’utiliser, sinon comme eau potable, du moins pour l’irrigation des champs agricoles.

L’activité particulière de Pékin dans ce dossier pourrait s’expliquer par le contexte très négatif des relations bilatérales. Si ce n’était la gravité du problème causé par l’incertitude des conséquences du rejet d’eau de Fukushima. Et tout d’abord, cette incertitude inquiète près de la moitié des Japonais eux-mêmes. Surtout ceux dont l’activité et la vie quotidienne sont liées d’une manière ou d’une autre à la mer. Par exemple, les pêcheurs, les propriétaires d’hôtels et d’autres établissements de services dans les zones de villégiature côtières.

Quoi qu’il en soit, la question du déversement dans l’océan de l’eau accumulée dans la zone de la centrale nucléaire de Fukushima 1 a été l’un des principaux thèmes de l’échange de vues sur l’ensemble des relations bilatérales qui a eu lieu à la mi-juillet à Jakarta, en marge d’un événement de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), entre Wang Yi, qui a récemment pris la tête du ministère chinois des Affaires étrangères, et son homologue japonais Yoshimasa Hayashi. À en juger par les commentaires sur les résultats de la réunion, les deux parties sont restées sur leurs positions respectives et opposées sur toutes les questions soulevées, y compris celle mentionnée ci-dessus.

C’est-à-dire que le prochain échange de signaux sur l’une des lignes des relations bilatérales, établi dans ce cas comme « à l’occasion » dans la capitale de l’Indonésie, n’a pas apporté d’innovations positives notables au tableau général, répétons-le, peu réjouissant des relations bilatérales.

Au cours des derniers mois, la possibilité de reprendre les travaux de la plateforme trilatérale (avec la participation de la République de Corée) lancée en 2008 a été évoquée à plusieurs reprises. En particulier, les dirigeants des trois pays (la Chine, le Japon et la République de Corée) étaient censés se rencontrer chaque année pour développer une coopération mutuellement bénéfique.

Toutefois, ces réunions n’ont pas eu lieu depuis 2019 pour des raisons évidentes liées à la détérioration du climat politique dans la région indopacifique en général et en Asie du Nord-Est en particulier, qui a commencé à cette époque. La tension croissante entre le Japon et la République de Corée a contribué de manière notable à ce processus négatif général.

Il convient de rappeler que chacun de ces deux pays entretient des relations d’alliance avec les États-Unis, qui ne sont pas formalisées par des mots, mais par des instruments pertinents, comme on dit, « signés et scellés ». Et le problème de « l’élimination des malentendus » dans les relations entre les deux alliés asiatiques est une source de maux de tête pour Washington depuis de nombreuses années.

Les progrès dans la résolution de ce problème ont commencé avec l’élection d’un nouveau dirigeant de la République de Corée, dirigé par le Président Yoon Seok-youl, au printemps de l’année dernière. Cependant, le processus d’amélioration des relations du pays avec le Japon se poursuit au milieu de diverses difficultés (principalement de nature intra-coréenne) et il est trop tôt pour affirmer qu’il est irréversible. Néanmoins, Washington semble avoir été inspiré une fois de plus par l’idée de longue date de former une triple alliance politico-militaire avec la participation du Japon et de la République de Corée. Et il semble qu’après le sommet États-Unis-Japon-Corée du Sud qui s’est tenu le 17 août dernier à Camp David, la résidence des Présidents américains, nous puissions parler de progrès significatifs de Washington dans cette direction.

Naturellement, une telle perspective ne peut en aucun cas convenir à Pékin et, selon certaines informations, Wang Yi, lors de son séjour à Jakarta, aurait suggéré à son homologue japonais M. Hayashi d’entamer des travaux préparatoires au niveau des vice-ministres en vue de la reprise des travaux de la plateforme Japon-Chine-Corée du Sud susmentionnée, y compris la tenue de réunions des dirigeants des pays qui la composent. Toutefois, selon les commentaires, la réponse de M. Hayashi à cette proposition est restée vague. Le rapport de l’agence de presse Xinhua sur la réunion de Jakarta ne mentionne pas non plus ce sujet.

Ici, on est tenté d’utiliser une certaine « beauté » verbale dans le style « reflétant l’état général d’incertitude dans les relations bilatérales ». Mais, malheureusement, dans ce cas, il s’agit déjà d’un mauvais « reflet » de la réalité, car il y a simplement de plus en plus de « certitudes » en train d’assombrir le tableau général des relations entre le Japon et la Chine. Celui-ci ne s’est pas « éclairci », même après les « brèves discussions » des premiers ministres des deux pays qui se sont tenues à Jakarta le 6 septembre.

Ce processus négatif est particulièrement visible en ce qui concerne la question de Taïwan, une question clé pour la RPC (et pour la situation dans la région indopacifique (IPR) dans son ensemble), dans laquelle le Japon s’immerge de plus en plus clairement. Et il ne s’agit plus seulement des aspects humanitaires et commerciaux du système émergent de relations entre Tokyo et Taipei. Dans la nouvelle stratégie de sécurité nationale pour les dix prochaines années, l’intérêt du Japon à « maintenir la stabilité dans le détroit de Taïwan » est clairement énoncé.

Selon les événements récents, la question ne se limite pas à quelques notes conceptuelles générales dans les documents officiels.  Pékin a notamment attiré l’attention sur les mesures récemment annoncées par Tokyo pour assurer la sécurité des résidents de l’île de Miyako (qui fait partie de l’archipel japonais Ryūkyū) « en prévision d’une éventuelle situation imprévue à Taïwan ». Cette « éventualité » est expliquée ici en mots et en images. Il convient de noter que l’île de Miyako est relativement proche de Taïwan et du groupe d’îles inhabitées Senkaku (Diaoyu), dont la propriété fait l’objet d’un différend entre le Japon et la Chine.

Fin août, le service de cartographie de la RPC a publié un « ensemble de cartes standard mises à jour » qui a encore aggravé la question de la propriété de ces îles. Une fois de plus, les prétentions de Pékin à la possession des îles inhabitées Senkaku (Diaoyu), telles que décrites dans ces cartes, ont été critiquées le 6 septembre dernier par Hirokazu Matsuno, porte-parole du gouvernement japonais et secrétaire général du cabinet.

À la mi-juillet, le Japan Forum for Strategic Studies, l’un des principaux groupes de réflexion japonais travaillant en étroite collaboration avec des collègues américains, a effectué une simulation de la date de début et du scénario d’un éventuel conflit dans le détroit de Taïwan, ainsi que de la réponse du « premier ministre » du pays (incarné par l’ancien ministre de la défense, Itsunori Onodera).

On notera également la déclaration de l’un des deux principaux vice-ministres de la défense du pays concernant la possibilité de « fournir un certain soutien » à Taïwan « au cas où la Chine continentale aurait recours à la force ». Cette déclaration a suscité la réaction prévisible de la part de la RPC.

Enfin, il semble approprié d’attirer l’attention sur la présence significative du facteur « américain » dans l’ensemble des relations entre le Japon et la Chine. Dans le cadre du fameux « derisking (dérisquage) » initié par Washington, c’est-à-dire de la stratégie visant à exclure la Chine des processus internationaux de fabrication des produits les plus avancés (principalement les semi-conducteurs modernes), le Japon a récemment imposé des restrictions à l’exportation de certains équipements technologiques. Le quotidien chinois Global Times a réagi à cette décision en illustrant les motivations qui la sous-tendent.

Bien entendu, la complexité des relations entre le Japon et la Chine n’est pas entièrement due à l’influence du facteur reflété dans cette illustration. Mais il ne fait guère de doute que le Japon se comporterait de manière beaucoup plus rationnelle et modérée sur la scène internationale s’il cessait d’y jouer le rôle de « numéro deux », en transférant une part importante de la responsabilité des conséquences à son « grand frère » d’outre-mer.

Cette perspective (aujourd’hui presque fantastique) pourrait devenir une réalité si ce dernier cessait enfin de s’occuper de presque toutes les maladies du monde et se concentrait enfin sur le traitement de ses propres plaies. Les Américains devraient commencer sans tarder à « changer de cap » en matière de politique étrangère. Avant que les marionnettistes de l’actuelle direction libérale à moitié débile (qui semblent guidés par le fameux principe « Après nous le déluge ») ne conduisent le pays à la guerre civile.

Quant à l’évolution des relations entre la Chine et le Japon, sa nature sera jugée à l’aune des signaux qui continueront (espérons-le) d’être échangés entre les deux principales puissances asiatiques.

Dans le même temps, elles maintiendront leurs lignes de communication bilatérales en état de marche.

 

Vladimir Terekhov, expert des problèmes de la région Asie-Pacifique, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook »

Articles Liés