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Turquie-Irak : en quête d’un nouveau dynamisme dans les relations

Viktor Mikhin, 20 septembre 2023

La Turquie et l’Irak occupent une place importante au Moyen-Orient, et beaucoup, notamment l’atmosphère de paix et de tranquillité, dépend de l’orientation de leur politique extérieure et en particulier de leurs relations bilatérales. Cela a été clairement démontré par les négociations diplomatiques entre Ankara et Bagdad, accompagnées d’un échange de visites ministérielles, qui promettent des changements importants dans les futures relations turco-iraquiennes. Le ministre turc des Affaires étrangères et ancien chef du renseignement, Hakan Fidan, s’est rendu à Bagdad et à Erbil pour la première fois depuis son entrée en fonction. Entre-temps, le ministre irakien du pétrole, Hayan Abdel Ghani, s’est rendu à Ankara pour une visite de deux jours afin de discuter de plusieurs sujets qui déterminent les relations bilatérales.

Historiquement, les relations turco-irakiennes ont connu des hauts et des bas en raison de certains problèmes non résolus. Quant à la Turquie, dans ses relations avec l’Irak, son approche est déterminée par trois facteurs clés : la politique du gouvernement régional du Kurdistan (GRK), le prétendu terrorisme du Parti ouvrier du Kurdistan (POK) et l’influence iranienne sur le gouvernement irakien actuel. Pour l’Irak, il y a également trois facteurs clés : les problèmes de ressources en eau transfrontalières, le problème des exportations de pétrole et l’assistance économique d’Ankara à la reconstruction du pays. Au fil des années, ces problèmes se sont superposés, plongeant souvent les relations turco-irakiennes dans le chaos le plus complet.

La visite de Hakan Fidan, ouvrira-t-elle la voie à une nouvelle politique turque envers l’Irak qui pourrait encourager Ankara à partager ses problèmes avec Bagdad de sorte que cela réponde aux intérêts des deux parties ? De nombreux experts estiment que c’est très probable, mais il semblerait que cela provienne principalement de l’adoption d’une nouvelle approche, dans laquelle l’agenda économique, plutôt que politique, sera la force motrice des relations bilatérales. La visite de Fidan à Erbil témoigne de l’aspiration de la Turquie à mener une politique équilibrée entre le GRK et le gouvernement central de Bagdad, cherchant à maintenir une stabilité délicate entre Bagdad et Erbil. Cependant, cette politique a été sérieusement mise à l’épreuve lorsque l’Irak avait été plongé dans la guerre civile, le terrorisme et le conflit politique après 2003, par la faute de l’Occident. Les relations se sont particulièrement détériorées à cause de l’instabilité politique du pays, lorsque suite à l’invasion américaine brutale, effrontée et non provoquée, une succession de premiers ministres pro-américains est arrivée au pouvoir.

Les fluctuations dans les relations turco-irakiennes dues à l’occupation du pays par Washington ont incité Ankara à poursuivre des politiques tirant parti de la rivalité entre Bagdad et Erbil, notamment des relations politiques et commerciales plus étroites avec cette dernière. Cependant, après l’échec du référendum sur l’indépendance kurde en 2017, la Turquie a adopté une nouvelle approche dans les relations avec Erbil et Bagdad qui préconise un traitement plus équitable des deux parties au lieu de favoriser une partie par rapport à l’autre.

Le problème du prétendu terrorisme du POK a posé des difficultés dans les relations de la Turquie avec Erbil et Bagdad. En ce qui concerne le Kurdistan, Ankara cherche à développer des liens avec les deux principales entités politiques de la région : le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) dominant et l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) rivale. Le PDK, qui entretient des liens politiques et économiques étroits avec Ankara, est en conflit avec le POK en raison de divergences idéologiques et politiques. L’UPK, qui n’a plus de liens avec Ankara qu’elle avait par le passé, entretient des relations étroites avec l’Iran et est considérée avec méfiance par la Turquie en raison de son affiliation présumée au POK. Mais Ankara tente désormais de rétablir les relations avec l’UPK et espère que le problème du POK sera résolu selon le modèle adopté par le PDK.

Les opérations militaires de la Turquie et sa base militaire en Irak ont longtemps mis ses relations avec Bagdad à l’épreuve. Cependant, ces dernières années, Bagdad a évité toute confrontation avec Ankara afin de maintenir les relations, notamment dans le domaine économique. Lors de son voyage à Bagdad, Fidan « s’est tourné » vers les dirigeants irakiens pour qu’ils reconnaissent le POK comme organisation terroriste. En tant qu’ancien chef des renseignements, Fidan a été l’un des principaux architectes de la politique irakienne de la Turquie et il a des contacts avec des politiciens kurdes à l’intérieur du pays. Sa nomination au poste de ministre des Affaires étrangères pourrait conduire à un changement significatif de paradigme dans la politique turque en Irak, dans le cadre duquel les initiatives diplomatiques pourraient être intégrées aux objectifs sécuritaires et économiques.

D’autres facteurs contribuent également au renforcement du rôle de la Turquie en Irak. Du point de vue géopolitique, l’Irak est important non seulement pour les Turcs, mais aussi pour les Iraniens, ce qui fait de ce pays l’élément central de leur rivalité pour l’influence régionale. Cette rivalité turco-iranienne façonne également la scène politique irakienne, qui joue un rôle important dans la politique turque. Du point de vue de l’Irak, les facteurs commerciaux et énergétiques sont des variables puissantes qui déterminent l’approche du pays à l’égard de la Turquie. Le différend sur le partage des eaux de l’Euphrate et du Tigre est un litige de longue date qui provoque périodiquement des tensions entre Ankara et Bagdad. Au cours de la visite en cause, l’Irak et la Turquie sont convenus de créer un comité mixte permanent pour résoudre les problèmes liés à la répartition des eaux des deux fleuves. C’est le moyen idéal pour faire du problème de l’eau un domaine de coopération plutôt que de discorde.

Deuxièmement, c’est la question du pétrole. Le ministre irakien du pétrole s’est rendu en Turquie pour négocier la possibilité de reprendre les exportations pétrolières du GRK via le port turc de Ceyhan, suspendues depuis plus de cinq mois. Cependant, les deux parties ne sont pas encore parvenues à se mettre d’accord sur la reprise des exportations de pétrole. La Turquie a interrompu les fournitures du pétrole via l’oléoduc irako-turc après que la Chambre de commerce internationale (CCI) avait statué sur un différend juridique vieux de neuf ans entre les deux pays. Alors que le redémarrage du pipeline est constamment discuté, les conséquences économiques, politiques et juridiques négatives du conflit pétrolier s’accumulent et des millions de barils de pétrole restent bloqués dans les ports – malgré la récente visite du ministre turc des Affaires étrangères Hakan Fidan à Bagdad, où il n’a pas reconnu publiquement ce blocus pétrolier.

Le différend se résume à la question de savoir si la Turquie a violé l’accord de transit par pipeline de 50 ans en autorisant d’exporter le pétrole des gisements situés dans des zones contrôlées par le gouvernement régional du Kurdistan sans le consentement de l’Irak. Mais depuis que le tribunal arbitral de Paris avait accordé à l’Irak 1,5 milliard de dollars d’indemnisation, la Turquie a simplement bloqué le transit d’environ 500 000 barils de pétrole par jour du Kurdistan vers les marchés mondiaux via son port de Ceyhan, ce qui a choqué le secteur pétrolier et a joué le rôle de catalyseur dans des processus régionaux, voire mondiaux.

Bien sûr, Erdogan a immédiatement blâmé le gouvernement central irakien de Bagdad et le gouvernement kurde pour tout ce qui s’est passé. Mais les responsables irakiens et kurdes rejettent ses critiques et accusent plutôt la Turquie. Alors qu’Ankara avait affirmé initialement qu’elle se conformait simplement à la décision de la Cour pénale internationale, il a été vite découvert qu’elle tentait de négocier le remboursement de l’indemnité de 1,5 milliard de dollars et de résoudre un deuxième arbitrage avec l’Irak sur les flux pétroliers non autorisés depuis 2018. Entre-temps, rien n’indique que la Turquie relancera les fournitures du pétrole dans un avenir proche.

Un autre sujet est le soutien par la Turquie de la reconstruction de l’Irak. Au début de 2018, la Turquie était prête à accorder un prêt de 5 milliards de dollars pour soutenir la reconstruction en Irak. Bagdad espère obtenir le soutien d’Ankara pour la construction d’une route de développement importante, connue sous le nom de « projet canal sec », une ligne routière et ferroviaire reliant la ville de Bassora, dans le sud de l’Irak, à la Turquie, qui constitue un domaine important de la coopération turco-irakienne.

L’examen de chaque sujet litigieux, à savoir le POK, l’eau ou le pétrole, sous un format différent permettra également à la Turquie et à l’Irak de parvenir à un nouveau dynamisme dans leurs relations et de déboucher sur un certain nombre d’accords réglant divers problèmes.

 

Viktor Mikhine, membre correspondant de l’Académie russe des sciences naturelles, spécialement pour la revue en ligne « New Eastern Outlook ».

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