Entre le 6 et le 9 juillet dernier, la ministre des Finances des États-Unis, Janet Yellen s’est rendue en Chine, ce qui est un événement marquant dans les relations entre les deux principales puissances mondiales.
Toutefois, son importance vient surtout du fait qu’il a eu lieu, car un mois auparavant sa probabilité avait semblé minime. Car dans le contexte de l’état général tendu des relations bilatérales, le gouvernement chinois ne se montre prêt à dialoguer qu’avec les représentants de l’actuelle administration américaine qui, au moins en public, ne font pas preuve d’hostilité.
Cependant, le 20 avril, Janet Yellen a fait un discours à l’Université Johns Hopkins, qui a fait beaucoup de bruit à cause des remarques critiques concernant le principal rival géopolitique actuel. Après cela, elle aurait bien pu se retrouver dans la situation du ministre de la Défense des États-Unis Lloyd Austin, c’est-à-dire rejoindre les représentants de l’administration américaine avec lesquels le gouvernement chinois, répétons-le, évite pour l’instant de négocier.
Alors que le fait même de maintenir les lignes de communication entre les deux principaux acteurs de l’étape actuelle du « Grand jeu mondial » fait partie de ces conditions impératives, dont le respect permettra d’éviter la perspective des lignes de séparation irréparables entre différents groupes de joueurs. Et un passage très probable du jeu à une phase de bagarre générale assortie de violence.
Comme cela s’est passé plus d’une fois dans l’histoire de l’humanité. Qui, en léchant les blessures héritées du dernier massacre, n’est souvent pas en mesure de dire avec certitude, à cause de quoi tout cela s’est passé. Et à la fin, elle se souvient de quelques bêtises initiales : quelqu’un a regardé quelqu’un d’autre de travers et a entendu un mot offensant en réponse. Ou un invité perfide, ayant profité de l’hospitalité, a enlevé la belle épouse de l’hôte.
Cependant, l’extrême danger actuel d’une réponse inadéquate à ce genre de “bêtise“ vient du très élevé du “malentendu“. Ce prix a commencé à augmenter fortement à partir du moment de l’initiation il y a 5-6 siècles en Europe du processus de “retour aux sources historiques“, dont les origines étaient associées au fameux mythe de l’“enlèvement“.
Mais le “progrès“ associé à une forte expansion des connaissances sur le monde réel qui nous entoure et à la solution de nombreux problèmes de l’existence, a été (inévitablement) accompagné par l’amélioration continue de l’arsenal des armes du meurtre. Si aujourd’hui on les utilise “à 100 pour cent“ dans un conflit qui s’intensifie, il n’y aura très probablement plus personne pour composer de nouvelles légendes sur les “causes“ de tout ce qui s’est passé.
Voilà pourquoi la question du maintien en état de marche, ainsi que de l’utilisation correcte des canaux de communication politiques mondiaux en général et entre les principaux acteurs mondiaux en particulier, acquiert une importance exceptionnelle. Elles sont nécessaires avant tout pour échanger des opinions sur certains problèmes émergents et, à tout le moins, pour clarifier à l’adversaire sa propre position sur ces problèmes. Au maximum, pour essayer de se mettre d’accord sur ces derniers.
Le fait même de la visite de la ministre des Finances des États-Unis (et précédemment, de celle du secrétaire d’État Blinken) témoigne de la volonté des parties de maintenir le fonctionnement des lignes de communication bilatérales. Bien que, à en juger par les informations disponibles, elles soient utilisées pour le moment dans le format « minimal » mentionné ci-dessus, c’est-à-dire afin de clarifier « les vraies positions que l’adversaire aurait pu mal interpréter ».
En l’occurrence, c’est l’invitée qui a dû “s’expliquer“ sur un éventail assez large de problèmes créés ces dernières années par Washington. Ils ont été énumérés dans les commentaires du ministère des Finances chinois suite à la visite de Mme Yellen. Car ce n’est que ces derniers temps que Pékin a commencé à répondre « en utilisant le même langage ». Ce qui, probablement, a servi de motif supplémentaire pour que Washington se montre prêt à « s’expliquer » avec Pékin.
Mettons encore une fois en lumière l’évolution remarquable dans le temps de la rhétorique des Etats-Unis au cours de la création des problèmes pour la Chine. A la fin du règne de la précédente administration américaine, elle a pris un caractère presque intransigeant et on a notamment parlé du “découplage“(decoupling) économique quasi complet. Selon l’auteur, l’une des conséquences pratiques de cette absurdité économique née dans certains milieux politiques aux États-Unis, est la perte par Boeing du marché géant chinois de la vente d’avions de ligne. Qui est maintenant occupé avec succès par l’Airbus européen.
Washington a compris que le decoupling était peut-être “trop“. C’est pour cela qu’au cours de ces derniers mois (en particulier lors des événements du G7), le terme “moins sévère“ de de-risking a été utilisé. Il ne désigne pas un “découplage“ total mais seulement les procédés technologiques les plus modernes, liés avant tout à la production des semi-conducteurs les plus récents. En fait, la « réponse » susmentionnée de Pékin (c’est-à-dire l’établissement du contrôle sur les exportations de certaines terres rares, dont l’extraction et la transformation primaire sont pratiquement un monopole de la Chine) a été provoquée par l’intention des opposants de s’engager dans cette « réduction des risques ».
Quelques jours avant la visite en question, dans l’un de ses entretiens, Mme Yellen a utilisé l’expression « concurrence loyale » pour définir le format des relations avec la Chine.
Donc, il est fort probable que lors des réunions avec les représentants du gouvernement et avec le ministre des Finances chinois, la question générale ait été posée à l’invitée : « Alors, Madame la ministre, de quoi s’agit-il dans nos relations futures avec vous : du “découplage“, de la “réduction des risques“, de la “concurrence loyale“ ? Ou bien tout cela n’est-il qu’un jeu de mots”.
La complexité de la situation dans laquelle Janet Yellen s’est retrouvée est également déterminée par le fait qu’elle a dû s’occuper de la quasi-totalité des problèmes dans les relations entre les États-Unis et leurs alliés avec la Chine. A la fois déjà accumulés et nouvellement émergents. La plupart d’entre eux vont bien au-delà de la responsabilité directe du ministère des Finances des États-Unis, mais exerce l’influence la plus directe sur ce dernier.
Les aspects commerciaux et économiques des relations américano-chinoises ne doivent pas être considérés en dehors du contexte de certaines tendances de la politique étrangère de Washington avec ses alliés qui sont extrêmement importantes et lourdes de conséquences. Les plus remarquables sont sans doute les tentatives de mettre en œuvre le concept de longue date consistant à combiner en un seul ensemble un complexe de groupements alliées (ou même quasi-alliées) qui fonctionnent sous l’égide de Washington, mais jusqu’à présent dans un format plutôt distinct les uns des autres.
La nécessité d’étendre à la région Asie-Pacifique la sphère de la responsabilité de leur principal élément, l’OTAN, est débattue depuis le début des années 2000, lorsque la transformation de la Chine en une deuxième puissance mondiale s’est clairement manifestée. La constitution de l’AUKUS et le rapprochement visible entre l’OTAN et l’allié américain clé en Asie, le Japon, pourraient constituer des “briques“ importantes dans les tentatives de construire une configuration militaire et politique “occidentale unie“ anti-chinoise. Cette deuxième tendance s’est encore développée lors du dernier sommet de l’OTAN à Vilnius et est devenu l’un de ses principaux résultats. C’est bien le rapprochement Japon-OTAN, ainsi que les tentatives d’y impliquer la Corée du Sud, qui deviennent l’objet de la méfiance croissante de Pékin.
Tout cet arrière-fond politique négatif a sans doute été présent dans les négociations tenues par la ministre des Finances des États-Unis lors de sa visite en Chine, dont les résultats ont été commentés avec réserve et prudence par les experts chinois. Quant à l’état des relations bilatérales à l’issue de la visite en question, il a été qualifié de « dégel fragile ».
C’est-à-dire qu’il est sous-entendu que le vecteur de leur développement subi les facteurs d’incertitudes trop nombreux pour en dire aujourd’hui quelque chose de plus ou moins précis.
Notons également que les tentatives évidentes de Washington de freiner au moins le processus de rapprochement global russo-chinois n’ont rien donné. En particulier, Pékin dit clairement que les États-Unis et leurs alliés les plus proches sont les véritables coupables d’avoir allumé le feu du conflit en Ukraine. Le développement réussi des relations entre la RPC et la Fédération de Russie est attesté par divers aspects de la visite de la délégation du Conseil de la Fédération en Chine.
Enfin, le seul élément positif de la visite évoquée est le maintien de l’état fonctionnels des lignes de communication entre les deux grandes puissances mondiales. C’est déjà beaucoup à notre époque houleuse, c’est le moins qu’on puisse dire. Ces lignes de communication doivent certainement et de toute urgence être utilisées en cas de nouveau malentendu avec l’“enlèvement de la princesse“.
Aujourd’hui, ce serait, par exemple, Taiwan.
Vladimir Terekhov, expert des problèmes de la région Asie-Pacifique, pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook ».