Les rivalités entre la Russie et l’Occident sont en plein essor, alimentées par des décennies de méfiance, de ressentiment, de conflits hybrides et de divergences stratégiques. Quelles sont les racines de cette tension géopolitique ?
En effet, l’intensification des tensions entre la Russie et l’Occident puise ses racines dans un passé historique complexe, marqué par un héritage de domination et de mépris. Dès la Révolution française (1789), l’émergence de la « démocratie libérale » à double standard en Occident s’oppose à l’attrait russe pour un Etat fort et souverain. Au XXe siècle, cette rivalité s’exacerbe, notamment durant la Guerre froide, où l’Occident, particulièrement les Etats-Unis, perçoit la Russie comme un ennemi idéologique à contenir. Repère de l’illusion de la fin de la guerre froide, la chute de l’URSS en 1991, interprétée par l’Occident comme un triomphe de la « démocratie » et du « capitalisme » tous azimuts, marque un nouveau chapitre. Pourtant, l’imposition de réformes économiques externes génère une crise interne en Russie, alimentant un sentiment de mépris. Aujourd’hui, ces tensions sont à un niveau inédit, la Russie ayant regagné confiance et puissance, cherchant à défendre ses intérêts nationaux face à un Occident toujours sur ses gardes et au bord du précipice. Cet environnement géopolitique est illustratif d’un dualisme persistant où chaque camp tente de sécuriser son hégémonie.
La perception de l’humiliation et du déclassement géopolitique est une blessure ouverte qui continue de saigner
Incontestablement, la dissolution de l’URSS en décembre 1991, soit deux ans après de la chute du mur de Berlin en novembre 1989 a marqué un tournant majeur pour la Russie, transformant espoirs de liberté et de démocratie en une période de turbulences économiques, chaos politiques et revers géopolitiques. Les puissances occidentales, notamment les Etats-Unis, ont tactiquement et stratégiquement profité de la vulnérabilité russe pour étendre leur influence sans aucune considération pour les intérêts russes. Cette tactique d’encerclement et d’endiguement au cœur de la « doctrine Truman » et illustrée par l’expansion de l’OTAN à l’Est est perçue en Russie comme une menace directe à la sécurité nationale. Les interventions occidentales dans les Balkans ont exacerbé ce ressentiment, excluant la Russie des processus de paix et imposant des solutions unilatérales. Cette série d’humiliations a profondément marqué la psyché russe (qui trouve ses racines dans l’histoire, la culture, la géographie et les expériences collectives du peuple russe), nourrissant un sentiment de trahison et de mépris. Aujourd’hui, la Russie s’affirme comme une puissance géopolitique incontournable, résolue à défendre ses intérêts et restaurer sa grandeur, imposant ainsi un nouveau paradigme aux relations internationales.
L’expansion de l’OTAN et de l’UE vers l’Est, une stratégie de domination et d’encerclement
A n’en pas douter, la politique expansionniste de l’OTAN et de l’UE vers l’Est, guidée par la politique étrangère agressive de Washington (théorisée par Brzezinski et Kissinger) et initialement présentée comme une démarche pour renforcer stabilité, sécurité et coopération en Europe, est appréhendée par la Russie comme une manœuvre de domination et d’encerclement. Ce qui relève du réalisme politique de l’Etat russe « capable d’assurer l’ordre à l’intérieur et la puissance à l’extérieur » selon la thèse Juvin. Ainsi, perçue comme une menace directe à sa sécurité nationale, l’élargissement de l’OTAN, alliance militaire née en 1949 pour contrer la menace soviétique, suscite des sentiments d’encerclement en Russie, exacerbés par la présence militaire accrue près de ses frontières. De même, l’intégration de pays d’Europe de l’Est au sein de l’UE, ex-sous l’influence soviétique, est vue par Moscou comme une tentative de perturber son influence géopolitique en favorisant les intérêts occidentaux. La perception de trahison résulte donc en partie de promesses non tenues par les Occidentaux de ne pas étendre l’OTAN après la chute du mur de Berlin. Ces actions, perçues comme des provocations, aiguisent les tensions et la méfiance entre la Russie et l’Occident, accentuant un climat conflictuel. Alors que les relations entre la Russie (alors l’Union soviétique) et les Etats-Unis étaient marquées par des tensions croissantes et une méfiance mutuelle, caractéristiques de la Guerre froide en 1949, la guerre par procuration en Ukraine depuis février 2022 a ravivé ces tensions et cette méfiance mutuelle. Depuis son retour à la Maison-Blanche le 20 janvier 2025, Donald Trump manifeste une détermination résolue à normaliser les relations entre la Russie et les Etats-Unis. Cela met en mouvement les automates réactionnaires de l’Europe de va-t’en guerre dans un cycle de gesticulation institutionnelle. Toutefois, l’incertitude demeure quant à la pérennité de cette démarche Trumpiste. Dans ce contexte, la Russie doit non seulement faire preuve de prudence, mais surtout rester vigilante pour éviter de revivre une transformation radicale de type « Pérestroïka ».
Les différences idéologiques et culturelles conduisent à un choc de civilisations
Le choc de cultures entre l’Occident et l’Orient n’est pas un phénomène nouveau sur l’échiquier global. Les différences idéologiques et culturelles entre la Russie et l’Occident sont enracinées dans l’histoire, remontant à la Révolution américaine (1776) et à la Révolution française (1789) ayant parachevé l’émergence de la démocratie libérale en Occident, tandis que la Russie privilégie traditionnellement un Etat fort et la souveraineté nationale. Ces contrastes sont aujourd’hui palpables dans les débats sur les « droits de l’homme » et la « gouvernance » tous azimuts, où l’Occident, notamment les Etats-Unis, prône « valeurs de démocratie » et de « droits humains » à géométrie variable, face à une Russie qui adopte une perspective plus conservatrice. Cette dichotomie est souvent tristement réduite par l’Occident à un affrontement binaire entre démocratie et autoritarisme, omettant la complexité de la réalité russe et ses fondements historiques. De plus, l’Occident utilise fréquemment les droits de l’homme et la démocratie comme leviers pour intervenir dans les politiques intérieures russes, nourrissant méfiance et rancœur, car beaucoup en Russie perçoivent ces actions comme une atteinte à leur souveraineté et identité culturelles. Cette simplification et ce biais ont intensifié les tensions et renforcé le climat de méfiance entre les deux blocs. C’est dans ce contexte d’engrenage historique que l’Ukraine a décidé de se substituer en champ de confrontation entre deux superpuissances autour desquelles les relations internationales sont organisées depuis la fin de la seconde guerre mondiale en 1945. L’agitation des élites de l’Europe bruxelloise et anglo-saxonne dans le théâtre de l’Ukraine trouve son origine dans l’oubli de l’histoire et du sentiment de ce que représente la défaite dans une guerre. En Europe, d’Oslo à Madrid, de Berlin à Lisbonne, de Dublin à Rome, et de Stockholm à Paris, ceux qui ont connu l’époque hitlérienne ne devraient-ils pas avoir un language différent vis-à-vis la Russie ?
De ce qui précède, nous pouvons déduire que les rivalités entre la Russie et l’Occident sont toujours une réalité de géopolitique majeure. La méfiance, le ressentiment, le mépris et les conflits hybrides génèrent toujours un climat de tension qui menace la stabilité mondiale.
On peut dire que la normalisation des relations diplomatiques entre Moscou et Washington initiée par Trump, menace les anarco-profito-situationnistes européens, fervents partisans du bellicisme, dans leur paradigme de gesticulation institutionnelle.
Mohamed Lamine KABA, Expert en géopolitique de la gouvernance et de l’intégration régionale, Institut de la gouvernance, des sciences humaines et sociales, Université panafricaine