Une réunion catastrophique à Washington a mis en évidence l’approfondissement du fossé entre Trump et Zelensky, laissant l’Europe désorientée alors que l’unité occidentale se fissure. Un nouvel ordre mondial est-il en train de se mettre en place ?
Zelensky et Trump : une relation détériorée
Les tensions entre Zelensky et Trump remontent à 2019, lorsque Trump avait demandé au président ukrainien d’enquêter sur les affaires de Hunter Biden en Ukraine, liées à Burisma Holdings. Le refus de Zelensky d’obtempérer avait empoisonné leurs relations. Cette controverse était devenue un élément central du premier procès en destitution de Trump, ancrant une méfiance profonde entre les deux dirigeants.
Au-delà des différends personnels, leurs visions stratégiques pour l’Ukraine divergeaient considérablement. Lors de son premier mandat, Trump s’était montré sceptique quant à un engagement américain à long terme en Ukraine. L’insurrection du Maïdan (2013-2014) avait bénéficié du soutien d’officiels américains, dont l’ancienne secrétaire d’État adjointe Victoria Nuland. Dans son mandat actuel, Trump privilégie un règlement rapide du conflit avec la Russie.
Zelensky, quant à lui, cherchait un soutien occidental fort et sans faille, ainsi que des garanties de sécurité. Lorsque Trump est revenu à la Maison-Blanche en 2025, sa position sur l’Ukraine s’était durcie. Sa politique étrangère, ancrée dans la doctrine « America First », laissait peu de place aux demandes de Kyiv concernant l’aide militaire et les assurances de sécurité.
La réunion de Washington : une humiliation publique pour Zelensky
La rencontre de février 2025 entre Zelensky et Trump, organisée par la France et le Royaume-Uni pour garantir la présence de l’Ukraine à la table des négociations contre la volonté de Trump, s’annonçait tendue mais s’est transformée en désastre diplomatique. Au lieu de renforcer l’alliance américano-ukrainienne, Trump et le vice-président J.D. Vance ont critiqué Zelensky, le pressant de négocier directement avec la Russie. Ils l’ont accusé d’ingratitude envers l’aide américaine passée, Vance allant jusqu’à qualifier ses plaintes publiques sur la fiabilité de la Russie de « manque de respect » envers le gouvernement américain.
Les conséquences de cette réunion ont été encore plus brutales. Le déjeuner prévu, la réunion de travail et la conférence de presse conjointe ont été annulés, et l’accord sur les ressources minérales – censé compenser l’aide militaire américaine – est resté lettre morte. Zelensky a été sommé de quitter les lieux, repartant de la Maison-Blanche les mains vides et avec une crédibilité affaiblie. De nombreux alliés européens ont perçu cette rencontre comme une mise en scène délibérée de Trump pour humilier le dirigeant ukrainien, une manœuvre qui profitait directement à Moscou.
Réaction de l’Europe : panique et divisions
Les répercussions du fiasco de Washington ont été immédiates. Les dirigeants européens se sont rapidement rangés derrière Zelensky, réaffirmant leur engagement envers l’Ukraine. Le président français Emmanuel Macron, qui s’était déjà heurté à Trump plus tôt dans la semaine, a mis en garde contre un abandon de l’Ukraine par les États-Unis, insistant sur le fait que la Russie restait l’agresseur. Le Royaume-Uni, l’Allemagne et les pays baltes ont publié des déclarations similaires de solidarité, et une réunion d’urgence a été organisée à Londres deux jours plus tard, incluant une audience accordée à Zelensky par le roi Charles III.
Cependant, malgré ces démonstrations publiques de soutien, l’Europe se trouve dans une profonde incertitude, surtout après l’annonce par Trump d’une suspension temporaire de toute aide à l’Ukraine. Son hostilité envers l’OTAN et l’Union européenne alimente les craintes d’un désengagement total des États-Unis de la défense européenne.
Cette crise met en lumière la dépendance stratégique de l’Europe vis-à-vis des États-Unis. Bien que les dirigeants de l’UE insistent sur l’unité, des divisions persistent quant à la manière de répondre aux revirements de la politique américaine. Certains pays européens, notamment ceux dépendant des garanties de sécurité américaines, envisagent désormais des stratégies alternatives, incluant le développement de capacités de défense autonomes.
Dans cette perspective, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a souligné la nécessité pour l’Europe d’assumer une plus grande responsabilité en matière de défense. Elle a annoncé un plan de réarmement de 800 milliards d’euros sur quatre ans, financé par la capacité des États membres à émettre de la dette en dehors des règles de l’UE, ainsi qu’une augmentation moyenne des dépenses de défense de 1,5 % du PIB. Un fonds de défense commun de 150 milliards d’euros viendra compléter cet effort.
Pourquoi Trump méprise-t-il l’Europe ?
Le « mépris » de Trump pour l’Europe n’est pas nouveau. Dès sa première présidence, il considérait l’OTAN comme un fardeau obsolète, remettant fréquemment en question sa pertinence. Sa conviction que les nations européennes exploitent le soutien militaire américain tout en contribuant peu en retour a façonné ses décisions en matière de politique étrangère. De plus, en raison des faibles dépenses de défense européennes, Trump ressent une certaine rancœur à l’idée que ces pays offrent à leurs citoyens un niveau de protection sociale élevé dont beaucoup d’Américains ne bénéficient pas.
Sanctionner l’Ukraine semble faire partie d’une stratégie plus large visant à mettre l’Europe sous pression. En retirant le soutien américain, Trump force les nations européennes à supporter l’entière responsabilité de l’aide à Kyiv. Cette tactique affaiblit la position de l’Ukraine et accroît la pression politique et financière sur les gouvernements européens. Son objectif ultime pourrait être de réduire les engagements américains à l’échelle mondiale et de redéfinir les relations transatlantiques selon ses propres termes.
L’Europe fait maintenant face à un dilemme existentiel. Si Trump retire son soutien à l’Ukraine et à l’OTAN, les dirigeants européens devront assumer seuls leur défense. Ce n’est pas seulement une question de budget militaire, mais un défi fondamental pour l’unité occidentale.
La situation globale : un Occident en fracture
Le fiasco de Washington met en lumière une crise plus profonde en Occident. Le conflit en Ukraine a longtemps été présenté comme une lutte entre démocratie et autoritarisme. Cependant, avec le retour de Trump au pouvoir, ce récit est en train de s’effondrer. Les États-Unis ne mènent plus la charge en faveur de la démocratie en Ukraine, et l’Europe manque de cohésion pour prendre leur place.
Ce basculement a des implications profondes. Il soulève des questions sur la viabilité à long terme des alliances occidentales et sur l’avenir de la démocratie libérale alors que le leader traditionnel de l’Occident ne l’incarne plus. Si les États-Unis privilégient leur intérêt personnel à la sécurité collective, l’Europe peut-elle supporter seule le poids de la défense des valeurs démocratiques libérales ?
Plus largement, cette situation reflète un réalignement global. Alors que les États-Unis se retirent, d’autres puissances — la Russie, la Chine, et même des acteurs régionaux comme la Turquie et l’Inde — sont prêtes à combler le vide. L’idée d’un « Occident » unifié est en train de s’effondrer, laissant place à un monde multipolaire où les alliances traditionnelles ne sont plus garanties.
Gagnants et perdants dans cette lutte de pouvoir
Le premier perdant de cette crise diplomatique est Zelensky. Sa position s’est affaiblie et il a déjà accepté les conditions de Trump dans l’espoir d’un soutien américain qui reste incertain. L’Ukraine, déjà éprouvée par des années de guerre, fait face à un avenir incertain sans l’appui des États-Unis.
L’Europe, elle aussi, est en difficulté. L’UE doit désormais décider si elle doit renforcer ses capacités militaires ou risquer une vulnérabilité accrue. Bien que les dirigeants européens aient publiquement réaffirmé leur engagement envers l’Ukraine, les divisions internes demeurent un obstacle majeur.
Trump, en revanche, peut se considérer comme un gagnant. Sa gestion de la rencontre avec Zelensky renforce son image auprès de sa base électorale, consolidant sa posture dure sur l’aide étrangère et sa politique « America First ». Cependant, ses actions risquent d’aliéner des alliés clés et de renforcer la position de la Russie.
Le plus grand bénéficiaire de cette situation est la Russie. L’échec de la rencontre Trump-Zelensky et la soumission posterière de Zelensky aux diktats de Trump affaiblissent la position de négociation de l’Ukraine et augmentent la probabilité d’un règlement diplomatique favorable à Moscou. La Russie aura ainsi un levier accru pour influencer l’issue du conflit.
Au-delà de l’Ukraine, cette crise signale un affaiblissement de l’influence occidentale. La Chine et d’autres puissances émergentes observent attentivement la manière dont les États-Unis gèrent leurs alliances européennes. Si Trump continue à saper l’OTAN et l’Ukraine, cela pourrait encourager la Chine à adopter une approche similaire à Taiwan.
En fin de compte, les événements entourant la rencontre Trump-Zelensky ne concernent pas seulement les relations américano-ukrainiennes : ils reflètent un ordre mondial en mutation. L’Occident, autrefois uni sous le leadership américain, est en train de se fracturer. L’Europe doit désormais décider si elle peut s’adapter à cette nouvelle réalité ou risquer d’être laissée pour compte.
Conclusion
Le fossé grandissant entre Zelensky et Trump est symptomatique d’une crise plus large en Occident. L’Europe, déjà en proie à l’instabilité économique et politique, doit désormais faire face à la possibilité d’un retrait des États-Unis du leadership mondial.
L’idée d’un Occident fort et uni est menacée, voire n’existe tout simplement plus. Si l’Europe ne parvient pas à combler le vide laissé par une Amérique isolationniste, l’équilibre des pouvoirs basculera définitivement vers des régimes non libéraux. Les événements de Washington rappellent brutalement que l’ordre mondial de l’après-Guerre froide est en train de se désagréger — et que le monde doit se préparer à ce qui vient ensuite.
Pour ce faire, l’Europe a besoin de dirigeants visionnaires. Pourtant, Macron n’est pas De Gaulle, Starmer n’est pas Churchill, Scholz n’est pas Adenauer, et von der Leyen n’est pas Schuman.
Ricardo Martins – Docteur en sociologie, spécialiste des politiques européennes et internationales ainsi que de la géopolitique