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Syrie: le dialogue national reporté

Viktor Mikhin, 20 janvier 2025

Malgré les promesses de la nouvelle administration syrienne, le dialogue national inclusif a été reporté indéfiniment.

Syrie: le dialogue national reporté

Les discussions sur la légitimité du nouveau pouvoir se poursuivent

En Syrie, la légitimité du nouveau pouvoir et sa capacité à gouverner efficacement le pays sont activement discutées. Beaucoup remettent en question sa compétence et sa volonté de représenter les intérêts de l’ensemble de la société multinationale.

Cela est particulièrement vrai étant donné que les principaux ministères et autres institutions publiques sont sous le contrôle de Hayat Tahrir Al-Cham*, une branche d’Al-Qaida*. Bien que cette organisation djihadiste ait subi une transformation idéologique majeure, elle continue d’avoir des opinions islamistes ultra-conservatrices, ce qui peut susciter le mécontentement des représentants de différentes religions et groupes ethniques en Syrie.

Initialement prévu pour les 4 et 5 janvier, le dialogue a été reporté en raison de la nécessité d’approfondir les critères de sélection des participants, l’ordre du jour et les modalités d’organisation des événements qui aideront les participants à s’entendre sur les dispositions de base de la transition.

Environ 1 200 à 1 500 personnalités syriennes participeront à la conférence nationale de dialogue (SNDC), dont au moins 100 représentants de chaque province. Outre les représentants des districts administratifs, des membres de diverses minorités religieuses et ethniques participeront à la conférence. Cependant, des désaccords ont surgi au sujet du processus d’invitation supervisé par le Comité préparatoire du SNDC. Ce comité, chargé de définir les critères de sélection des participants, d’établir l’ordre du jour de la conférence et d’élaborer des mécanismes procéduraux, a été formé par le HTS*. Il est à craindre que, comme le HTS* lui-même, ce comité participe pour la première fois à des activités politiques institutionnalisées dans des instances démocratiques. Par conséquent, sans expérience, ils peuvent s’acquitter de leurs responsabilités de manière aléatoire et pas toujours justifiée.

Points controversés des critères de sélection des participants

Certains des critères énoncés par le comité ont suscité des controverses. Pour répondre aux exigences établies, il est nécessaire d’avoir une expérience confirmée de la lutte politique ou révolutionnaire contre le régime d’Assad. Toutefois, le comité n’envisage pas d’inviter des organisations d’opposition opérant à l’extérieur du pays.

L’argument en faveur de cette décision est que l’invitation de telles organisations soulèverait la question des quotas de représentation.Cela, à son tour, pourrait conduire à des problèmes qui ont longtemps entravé les progrès de l’opposition syrienne.

La coalition de l’opposition syrienne (la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution (CNFOR), appelée également la Coalition nationale syrienne (CNS)), créée au Qatar peu après le début de la révolution syrienne, a déclaré qu’elle ne participerait pas à la SNDC si les invitations étaient envoyées à des membres individuels de la coalition et non en tant que représentants de l’organisation.

Les partisans du conseil d’administration de HTS* soutiennent que la CNS n’a pas joué un rôle important dans le renversement du régime pour être éligible à la représentation en tant qu’organisation. En revanche, le commandement des opérations militaires* sera officiellement représenté, car il s’agissait de l’organe principal qui luttait activement contre l’ancien régime.

La SNDC a apparemment défini de manière arbitraire les critères liés aux outils de changement de régime. De nombreuses structures politiques se sont activement opposées au régime, même si elles n’étaient pas en première ligne à un moment crucial. Il a également été estimé que l’invitation d’associations politiques transformerait le dialogue national en un débat sur leurs réalisations révolutionnaires et leur rôle sur la scène politique syrienne.

En outre, en l’absence d’élections libres et transparentes, il est impossible de déterminer quelle association politique bénéficie du plus grand soutien de la population et a droit au plus grand nombre de sièges au sein du SNDC.

Certains analystes spéculent sur la manière dont la nombreuse communauté alaouite de Syrie pourrait être représentée dans le processus de réconciliation nationale et l’élaboration d’un nouveau contrat social qui ne porterait pas atteinte à leurs droits.

Si l’opposition au régime est le principal critère de participation au dialogue national, comment seront pris en compte ceux qui ont adopté une position neutre ou qui ne se sont pas ouvertement opposés au régime par crainte de représailles?

Le comité préparatoire du SNDC a annoncé que la conférence réunirait divers groupes, notamment des jeunes, des femmes, d’anciens prisonniers politiques et des militants. Cependant, il n’est pas encore clair si les officiers qui ont quitté l’Armée nationale syrienne (ANS) seront invités au dialogue, individuellement ou en groupe.

Il semble que ces anciens soldats de l’ANS se sentent maintenant quelque peu marginalisés, car les dirigeants de l’ANS sont exclus de l’administration intérimaire et du processus de formation de la nouvelle armée syrienne. D’autre part, les combattants étrangers participant aux rangs du HTS* ont reçu des postes dans la nouvelle hiérarchie militaire, ce qui montre que la répartition des postes ne tient pas seulement compte de la nationalité et du rôle actif dans les opérations militaires visant à renverser l’ancien régime.

Critique de l’ordre du jour de la conférence

D’autres commentateurs estiment que l’ordre du jour de la conférence proposé par le Comité préparatoire est trop simpliste, d’autant plus que de nombreuses questions doivent être résolues.

La participation de 1500 personnes pendant deux jours ne garantit pas en soi que les Syriens entendent leur opinion sur la forme et le contenu du processus de transition. Des procédures, des règles de conduite et d’autres mécanismes devraient être mis au point pour faciliter un dialogue constructif. En outre, la présentation, la discussion et l’adoption de documents contenant des positions et des propositions rédigées par des experts politiques et constitutionnels doivent être organisées de manière ordonnée.

L’ordre du jour de la conférence comprendra de nombreux thèmes, notamment la suspension de la Constitution en vigueur et la promulgation d’une déclaration constitutionnelle qui la remplacera par une période de transition. Un mécanisme sera également mis en place pour élire une Assemblée constituante chargée d’élaborer une constitution permanente qui sera soumise à référendum.

En outre, l’ordre du jour proposé comporte les points suivants:

  1. Dissolution du Parlement actuel.
  2. Mettre en place un mécanisme transparent pour constituer des comités consultatifs qui aideront le gouvernement de transition pendant les deux derniers mois de son mandat — jusqu’au 1ᵉʳ mars — ou qui faciliteront le prochain gouvernement de transition.
  3. Formation d’un gouvernement de transition plus représentatif qui remplacera l’actuel gouvernement de transition, qui ne représente qu’un petit nombre d’extrême droite et qui a peu d’expérience politique et de perspicacité.

Ce gouvernement de transition gèrera le pays jusqu’à la tenue d’élections générales. De nombreux experts sont devenus plus méfiants à l’égard des déclarations d’Al-Sharaa concernant la tenue d’élections dans quatre ans et l’adoption d’une Constitution permanente dans trois ans. Ils se demandent s’il n’envisage pas de prendre le pouvoir pendant cette période et d’établir un régime autoritaire comme celui créé par Hafez Al-Assad dans les années 1970. Un tel régime repose également sur un réseau d’alliances qui relient naturellement le pouvoir aux entreprises. Ces alliances sont formées par les chefs spirituels des sectes minoritaires, les juristes islamiques, les commerçants et les magnats des affaires.

D’autre part, la décision du Comité préparatoire de reporter le SNDC peut être considérée comme une tentative de répondre aux critiques et de prendre le temps de formuler des règles et des critères qui donneront aux Syriens l’assurance que le dialogue sera véritablement représentatif de leur société. Tant que le Comité n’aura pas publié un processus transparent et équitable de sélection des participants, ainsi qu’un ordre du jour et des règles plus détaillés et plus réalistes pour la tenue de la conférence, le débat sur son efficacité se poursuivra.

 

*organisations interdites en Russie.

 

Viktor Mikhin, membre correspondant de l’ l’Académie russe des sciences naturelles (ARSN), expert des pays du monde arabe

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