Une vague de commentaires et de rapports a déferlé dans l’espace médiatique et sur les réseaux sociaux du Moyen-Orient après le coup d’État en Syrie et l’arrivée au pouvoir de nouvelles forces. Ces réactions se distinguent par une mosaïque d’opinions et de points de vue sur les causes de cet événement.
Les titres d’articles illustrent cette ambivalence : « Syrie : pas de vainqueur ! », « La Syrie encore plus loin de sa résurrection », « La Syrie d’aujourd’hui dans l’ombre d’une division interne ». Les analystes de la région envisagent des scénarios contradictoires pour l’évolution des événements. L’un prévoit une transition douce et sans effusion de sang vers un nouveau système de gouvernance ; l’autre redoute un glissement vers le chaos et une guerre civile fratricide.
Ce que proclame Ash-Sharaa
De nombreux auteurs concentrent leur attention sur la biographie, les actions et les déclarations du chef de Hay’at Tahrir al-Sham* (HTS), Al-Joulani, le leader non officiel du conglomérat de forces arrivé au pouvoir après le coup d’État. Selon eux, il s’agirait d’un changement d’image. Al-Joulani a combattu sous la bannière d’Al-Qaïda* en Irak, a passé cinq ans dans une prison américaine, et a récemment abandonné son pseudonyme pour reprendre son vrai nom, Ash-Sharaa.
D’après le journal libanais Al-Akhbar, les interventions et interviews de cette figure sont destinées à un public extérieur : en premier lieu, l’Occident, suivi par les États du Golfe, Israël, les pays voisins, sans oublier les acteurs influents en Syrie, tels que l’Iran et la Russie.
Tout ce qu’Ash-Sharaa proclame vise à persuader qu’il n’est plus l’homme que beaucoup connaissaient auparavant. Il exprime son aspiration à établir de bonnes relations avec le reste du monde.
À Damas, les portes ont été ouvertes aux délégations de plusieurs pays européens ainsi qu’aux États-Unis, avec pour objectif d’établir des canaux de communication avec les nouveaux dirigeants syriens.
Ces derniers jours, les nouvelles autorités syriennes ont déroulé le tapis rouge pour les invités diplomatiques venus des pays arabes, notamment d’Arabie saoudite, de Jordanie et du Qatar. Le Qatar a proposé une assistance technique pour la reprise des vols commerciaux et a manifesté son intérêt à investir dans plusieurs secteurs syriens, y compris l’énergie.
La Jordanie a exprimé sa « disposition à soutenir la Syrie, notamment en matière de commerce, de sécurité aux frontières, d’approvisionnement en électricité, etc. ». Il semble également que les délégations arabes ayant visité Damas souhaitent empêcher la Turquie d’intensifier son implication en Syrie ou d’imposer son agenda aux Syriens.
Les pays occidentaux, pour leur part, tentent de définir leur approche vis-à-vis de la nouvelle administration syrienne. Ils attendent les résultats des politiques et des actions de celle-ci avant d’envisager la levée des sanctions imposées à Damas.
Après une rencontre avec Ash-Sharaa, un représentant américain a annoncé l’annulation de la récompense financière de 10 millions de dollars, initialement promise pour toute information menant à son arrestation. Cependant, le HTS* figure toujours sur la liste des organisations reconnues comme terroristes par les États-Unis.
Les nouvelles autorités syriennes envoient des signaux positifs
Comme on peut le constater, les nouvelles autorités syriennes s’efforcent d’envoyer des signaux positifs concernant la « justice sociale et l’égalité de toutes les composantes religieuses et ethniques », dans le but de rassurer la communauté internationale, d’obtenir leur reconnaissance et de s’engager dans une coopération officielle.
Ces signaux sont encourageants, estiment les experts et politologues. Anwar Gargash, conseiller diplomatique du président des Émirats arabes unis, a qualifié les déclarations sur l’unité du pays et les promesses du HTS* de ne pas imposer ses idées à tous les Syriens de « raisonnables et rationnelles ». Cependant, il s’inquiète de la nature des nouvelles forces et de leurs liens passés avec des organisations telles que les Frères musulmans* et Al-Qaïda*.
L’éminent chercheur saoudien en islam politique et en extrémisme, Youssef Ad-Dini, a analysé les tweets de figures du « djihad », y compris les déclarations d’Ash-Sharaa, et a tiré une conclusion. Selon lui, le principal problème du HTS* réside dans les « vestiges » de groupes de mercenaires et de combattants étrangers. Ces derniers n’ont pas compris les récents changements en raison de leur manque de flexibilité et de pragmatisme, contrairement à leurs dirigeants, a expliqué le chercheur.
Dans les médias du Moyen-Orient, on note une atmosphère de prudence et d’attente qui imprègne désormais la société syrienne. Ces bouleversements soudains ont pris beaucoup de monde au dépourvu, ébranlé les anciennes certitudes et ouvert la voie à des scénarios potentiellement tumultueux.
Comme le rappellent les sociologues arabes, la Syrie compte seize groupes raciaux et ethniques : Arabes, Kurdes, Circassiens, Druzes, Chiites, Alaouites, Chrétiens, Yézidis et d’autres. L’histoire des Syriens les a prédestinés à vivre imbriqués dans un tissu social commun. Ce tissu préserve l’héritage culturel du berceau de diverses civilisations, la terre ancienne du Levant.
Un défi se pose au nouveau régime syrien. Pour survivre et perdurer, il devra traduire sa rhétorique en réalité, en construisant un État national de droit, intégrant la coexistence de toutes les composantes de la société locale sous un même toit.
*Organisations interdites sur le territoire de la Fédération de Russie
Yuri ZININ, maître de recherche au Centre d’études du Moyen-Orient et de l’Afrique de l’Institut d’études internationales MGIMO