Les intérêts stratégiques des États-Unis en Ukraine et en Chine divergent en raison de calculs géopolitiques, économiques et militaires distincts.
Cependant, face à des résultats de plus en plus limités et à des stocks d’armements et de financements américains sous pression, l’Ukraine est devenue une priorité secondaire et est désormais considérée par Trump comme « un problème européen ».
La Chine, en revanche, représente un défi plus complexe et de plus grande envergure. Contrairement à la Russie, perçue avant tout comme une menace militaire et régionale, la Chine constitue une menace systémique pour la domination mondiale des États-Unis. Sa croissance économique rapide, ses avancées technologiques — surpassant les États-Unis dans de nombreux domaines clés — et son influence croissante à travers des initiatives comme les Nouvelles Routes de la Soie sont vues comme une menace directe à l’hégémonie américaine sur les plans économique et géopolitique.
Washington considère qu’endiguer la Chine — que ce soit par un renforcement militaire dans l’Indo-Pacifique, un découplage économique ou un soutien à Taïwan — est essentiel pour maintenir son leadership dans l’ordre mondial.
Le rôle de l’Europe dans les intérêts stratégiques des États-Unis
L’Europe joue un rôle de soutien dans les intérêts stratégiques américains, mais se trouve de plus en plus prise entre l’alignement sur les objectifs des États-Unis et la gestion de ses propres défis économiques et politiques pressants. Les États-Unis n’offrent pas à l’Europe le soutien nécessaire pour surmonter ses difficultés économiques et son manque de compétitivité. Au contraire, comme l’a récemment souligné le président français Emmanuel Macron, les États-Unis agissent davantage comme un concurrent : « Ils ne sont pas nos alliés, mais nos concurrents. »
En Ukraine, l’Europe a été un partenaire crucial, apportant financement, armement et soutien politique au conflit. Cependant, cette coopération a un coût élevé pour les économies européennes et a été un facteur majeur de la récente crise gouvernementale en Allemagne. Ce pays, confronté à des crises budgétaires et énergétiques ainsi qu’à de faibles niveaux d’investissement, paie cher les conséquences de la guerre et des sanctions contre la Russie.
L’alignement continu de l’Europe sur les objectifs menés par les États-Unis et l’administration Biden en Ukraine repose moins sur des objectifs stratégiques communs que sur sa dépendance à l’égard de l’OTAN et des garanties de sécurité américaines.
Sur la Chine, le rôle de l’Europe est moins clair. De nombreux pays européens entretiennent des liens économiques profonds avec Pékin, ce qui les rend réticents à s’aligner pleinement sur les stratégies américaines d’endiguement. La pression exercée par les États-Unis pour que l’Europe se désengage économiquement de la Chine ou participe à une militarisation de l’Indo-Pacifique aggrave encore les tensions transatlantiques. Ces divergences soulignent à quel point les intérêts stratégiques américains s’opposent souvent aux priorités européennes, révélant les frictions croissantes au sein de l’alliance dite occidentale.
En fin de compte, ces approches contrastées mettent en évidence le caractère transactionnel et opportuniste de la politique étrangère américaine sous Trump – ou toute autre administration – où les alliances et les stratégies sont dictées par des calculs de pouvoir changeants, souvent au détriment de partenariats de long terme.
En conclusion
En Ukraine, la guerre par procuration contre la Russie a atteint ses limites pratiques. Même parmi les Ukrainiens, une majorité de 56 % préfère une fin négociée au conflit, tandis que seulement 20 % souhaitent la poursuite des combats. Le désengagement de Trump de l’aide militaire pourrait refléter une reconnaissance pragmatique de ces rendements décroissants : l’aide militaire et financière supplémentaire ne semble plus pouvoir entraîner de progrès significatifs ou de gains stratégiques. Au contraire, les bénéfices de ces efforts diminuent, tandis que les coûts restent élevés, voire augmentent.
Avec une Russie solidement ancrée et des ressources américaines sous pression, l’Ukraine est progressivement mise de côté alors que Washington concentre son attention sur la Chine. Toutefois, en permettant à Zelensky d’utiliser des missiles américains à moyenne portée pour frapper en profondeur la Russie, Biden fait tout pour laisser à Trump un héritage empoisonné.
La Chine, en revanche, fait face à une hostilité croissante. L’administration Trump devrait renforcer la présence militaire américaine dans l’Indo-Pacifique, consolider des alliances avec des acteurs régionaux comme les Philippines et intensifier le soutien à la militarisation de Taïwan. Cette approche pourrait mener à une escalade des tensions, voire à un conflit ouvert, avec des conséquences majeures pour la stabilité mondiale.
Cette bifurcation met en lumière une réalité plus large : la politique étrangère américaine est moins guidée par l’idéologie que par la gestion de ses priorités impériales – une logique que les Européens ont souvent du mal à comprendre, eux qui perçoivent encore les États-Unis comme un ami-allié. La guerre par procuration en Ukraine a permis de ramener l’Europe sous influence américaine, mais elle est désormais considérée comme négligeable ; la Chine devient la prochaine cible d’une stratégie prolongée d’hégémonie américaine. La pression exercée sur l’Europe pour soutenir le projet d’un « OTAN asiatique » est une tentative manifeste de rallier le continent au projet américain d’encercler la Chine. Une fois de plus, ce n’est pas l’agenda de l’Europe, mais bien celui des États-Unis dans leur quête de maintien de leur domination mondiale.
Pour le reste du monde, les BRICS émergent comme une alternative viable, mettant en avant l’urgence de résister par la multipolarité et l’autonomie stratégique. À long terme, les BRICS pourraient également devenir une alternative intéressante pour l’Europe.
Ricardo Martins – Doctorat en sociologie, spécialisé dans les politiques, la politique européenne et mondiale et la géopolitique