19.02.2024 Auteur: Boris Kushhov

Démission du gouvernement au Kazakhstan : un pas de plus vers la réforme politique ?

Démission du gouvernement au Kazakhstan

Le 5 février 2024, le gouvernement de la République du Kazakhstan a quitté ses fonction, et Roman Sklyar, l’ancien premier chef adjoint du cabinet, est nommé premier ministre par intérim. Une fois que le président aura examiné la candidature d’Oljas Bektenov au poste de premier ministre, nommé à ce poste par le parti au pouvoir, le processus de formation d’un nouveau cabinet sera enclenché.

Cet acte politique ne peut être considéré comme inattendu que dans une certaine mesure : auparavant, en septembre 2023, il y a également eu un remaniement du gouvernement du Kazakhstan, qui s’est traduit par la réalisation du refus de cumuler deux postes ministériels par la même personne, ainsi que par la nomination de 10 nouveaux ministres et la formation de nouveaux ministères. En particulier, un ministère distinct consacré au développement des routes et des transports a été rétabli. Plus tôt encore, après l’instabilité politique de janvier 2022, le gouvernement de la république avait connu d’importants changements et c’est ainsi qu’Alikhan Smailov, qui a démissionné le 5 février, était devenu premier ministre.

Par ailleurs, en 2022-2024, le chef de la république a évoqué à plusieurs reprises la préparation de transformations politiques de grande ampleur, dont ces mesures de grande ampleur feraient partie.  Lors du Forum international d’Astana qui se tiendra en juin 2023, le président du Kazakhstan Tokayev a déclaré aux investisseurs étrangers qu’une « réinitialisation du système politique et économique » aurait lieu dans la république. Lors de sa première interview en 2024, qui a suivi de peu la fin des vacances du Nouvel An, le président a rapporté aux journalistes que « le Kazakhstan est arrivé au terme des principales réformes politiques » et qu’il était temps de « jeter les bases du prochain cycle quinquennal de développement du pays et de la transition vers un nouveau modèle économique ».  Il a également évoqué le lancement imminent de « réformes fondamentales » dans la république lors d’une réunion avec des hommes d’affaires italiens au cours de sa visite en Italie en janvier 2024.

Naturellement, pendant tout ce temps, il n’était pas seulement question de la possibilité d’une dissolution du gouvernement, mais aussi de véritables transformations politiques et économiques, que les dirigeants du pays ont commencé à mettre en pratique activement après les fameux événements de janvier 2022. De manière générale, en mars 2022, le Kazakhstan a donné le coup d’envoi d’une réforme constitutionnelle de grande ampleur, dont le projet a été approuvé par les citoyens de la république lors d’un référendum national en juin 2022 (77% des participants au référendum ont soutenu le projet).

En 2023, les élections des députés au Majlis (la chambre basse du parlement de la république) et des maslikhats à tous les niveaux ont été organisées selon de nouvelles modalités (élections aussi extraordinaires que l’actuelle démission du cabinet). Ainsi, les élections tenues en mars 2023 ont été conduites selon un système électoral mixte. Les réformes de 2022-2023 ont sensiblement élargi les pouvoirs du corps législatif, ce qui contraste fortement avec la longue expérience d’une république présidentielle héritée de l’époque du premier dirigeant du Kazakhstan Nazarbayev. Le pouvoir croissant du parlement à long terme implique une plus grande responsabilité du gouvernement devant celui-ci et peut-être même une plus grande implication dans la formation du gouvernement. De surcroît, la composition du gouvernement qui a coexisté jusqu’au 5 février 2024 contrastait par son homogénéité politique avec la composition du Majlis de la dernière convocation, qui, en raison de l’introduction d’un système électoral mixte, comprenait des représentants d’un nombre sans précédent de partis.

L’une des significations de cette démission réside peut-être dans la réalisation d’un vecteur à long terme pour la formation d’une nouvelle génération de dirigeants dans la république, qui devront prendre la barre dans une réalité politique et économique différente et réformée. Une grande partie des membres du cabinet démissionnaire, dont le premier ministre de la république, son premier adjoint, ainsi qu’un certain nombre de ministres avaient déjà siégé au sein du cabinet lors de la précédente ère politique du Kazakhstan. Cela jusqu’en 2019, date à laquelle Tokayev est devenu président. La pertinence d’un tel motif peut être attestée par la nomination d’Oljas Bektenov au poste de premier ministre le 6 février 2024, qui, hormis sa réputation officielle, se distingue par le fait qu’il n’a pas occupé de postes à responsabilité dans la république jusqu’en 2019 et qu’il est un représentant d’une nouvelle génération d’hommes et de femmes politiques.

Nous ne devons pas renoncer non plus à des raisons moins sophistiquées : par exemple, en 2023, les médias kazakhs ont diffusé un narratif populaire sur la possible démission, sinon de l’ensemble du cabinet, du moins de son chef. Cependant, dans cette situation, elles sont très probablement au second plan.

La démission inattendue du gouvernement du Kazakhstan le 5 février 2024 ne doit donc pas être considérée comme une urgence ou un effondrement de la confiance dans le cabinet, mais comme un processus graduel de renouvellement du système politique du pays, sa transition vers l’ouverture, la représentativité et la légalité. Dans le cadre de ce processus, les ressources politiques considérables offertes par la législation actuelle de la République, centrées entre les mains du président, sont exploitées comme force motrice pour la réforme et le renouvellement du personnel, avec le soutien de la population par le biais de référendums nationaux. En raison de la nature du changement politique, la transition vers un rôle croissant des pouvoirs législatif et judiciaire est accomplie, notamment par le biais de mesures péremptoires telles que la dissolution de la chambre basse du parlement ou du gouvernement.

 

Boris Kushkhov, département de la Corée et de la Mongolie de l’institut d’études orientales de l’académie des sciences de Russie, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook »

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