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Joyeuse journée de la neutralité : Pourquoi le Turkménistan aurait-il besoin d’une « neutralité positive » ?

Boris Kushhov, décembre 30 2023

Le 12 décembre 1995, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la résolution 50/80 A « Sur la neutralité permanente du Turkménistan », manifestant ainsi une large approbation internationale de la décision de la jeune république sur son statut de neutralité. La décision a été soutenue par tous les États membres des Nations unies sans exception. En adoptant cette résolution, le Turkménistan devient le premier pays de l’histoire à consolider sa neutralité au sein des Nations unies. Depuis cette date, le 12 décembre est devenu un jour férié au Turkménistan, le jour de la neutralité.

Le thème de la « neutralité positive » parcourt toute l’histoire de la politique étrangère du Turkménistan moderne. Notamment, le premier document de politique étrangère à long terme du pays, adopté en 1995, s’intitulait « Programme de politique étrangère du Turkménistan en tant qu’État neutre ».

Le Turkménistan a déclaré pour la première fois son engagement en faveur de la « neutralité positive » en 1992, au sommet d’Helsinki dans le cadre de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe. C’est toutefois l’année 1995 qui a mis un terme au processus d’approbation de la neutralité permanente de la République, lorsqu’elle a été approuvée au sommet de l’Organisation de coopération économique, à la réunion des chefs d’État et de gouvernement du Mouvement des pays non alignés et, comme nous l’avons déjà mentionné, par l’Assemblée générale des Nations unies.

Pour comprendre les raisons qui ont incité le Turkménistan à la « neutralité permanente », il convient de se pencher sur les particularités de la situation internationale et politique dans la région de l’Asie centrale : le voisinage géographique immédiat de la république. Il s’agit de la confrontation civile intense en Afghanistan et au Tadjikistan, à laquelle un certain nombre d’autres pays de la région ont participé à des degrés divers, ainsi que du « vide de pouvoir » créé dans la région par la fin de l’Union soviétique et de la recrudescence d’un certain nombre de différends territoriaux entre les nouveaux États, les nouvelles frontières politiques ne correspondant pas aux frontières ethniques.

Simultanément, il convient de tenir compte du fait que le Turkménistan, en tant que nouvel État (dans les années 1990), a tout intérêt à acquérir une large reconnaissance internationale et à nouer des relations de partenariat avec de vastes cercles de la communauté internationale. Pour y parvenir, le pays a choisi d’intensifier sa participation aux organisations internationales, en particulier au Mouvement des non-alignés et aux Nations unies, avec lesquelles la promotion de la neutralité permanente et la participation du Turkménistan aux processus de négociation sous les auspices des Nations unies visant à résoudre les conflits civils et internationaux dans la région constituent un point d’interaction important.  Les Nations unies sont également considérées au Turkménistan comme un partenaire important en cas de menace politique directe pour la république en raison de l’instabilité de l’Afghanistan voisin.

Probablement, l’une des fonctions de la « neutralité positive » depuis le tout début était de garantir une distanciation modérée du Turkménistan par rapport aux processus d’intégration dans l’espace post-soviétique : la république craignait l’influence croissante sur sa politique d’autres grands exportateurs de gaz, en particulier la Fédération de Russie, ce qui risquait de limiter ses possibilités d’exportation. En même temps, les marchés de la CEI ne paraissaient pas prometteurs pour les exportations de gaz du Turkménistan, ce qui explique également la tactique consistant à éviter de participer aux structures politiques et économiques post-soviétiques.

Au début des années 1990, le Turkménistan n’aurait pas pu bénéficier de manière significative d’une coopération avec l’un ou l’autre des participants aux conflits qui ont éclaté dans la région : le pays n’avait aucune revendication territoriale vis-à-vis de ses voisins. Le principal objectif de la politique étrangère du pays a été, dès le départ, de garantir l’exportation de la ressource naturelle la plus précieuse du Turkménistan, dont son bien-être dépend toujours, à savoir le gaz naturel. La paix, la stabilité et la sécurité en Asie centrale sont des éléments essentiels au développement réussi des exportations de gaz, faute de quoi les voies de transit internationales pour les gazoducs ne seraient pas possibles. D’autre part, afin de fournir du gaz au plus grand nombre de pays possible, il est devenu de plus en plus important pour le Turkménistan de développer des relations constructives et amicales avec le plus grand nombre possible d’importateurs potentiels et de pays de transit. La consolidation de la neutralité permanente semblait permettre d’atteindre tous ces objectifs. Ainsi, le modèle de développement mono-industriel exportateur, rare en Asie centrale dans les années 1990, a aussi largement prédéterminé le choix du pays en direction de la « neutralité positive »

Bien entendu, il existe des concepts beaucoup moins orthodoxes qui illustrent la popularité de l’idée de neutralité dans le Turkménistan indépendant. Un certain nombre d’experts de ce pays trouvent notamment les racines de la « soif de neutralité » dans l’histoire même des formations étatiques, qui sont perçues comme les prédécesseurs de la république moderne. Indépendamment de la hiérarchie de l’importance et de la pertinence des raisons de l’émergence d’un tel phénomène, la neutralité du Turkménistan reste (et restera probablement pendant longtemps) un moyen fondamental d’assurer la politique étrangère du Turkménistan, ainsi que son commerce extérieur pas trop varié mais à très grande échelle.

 

Boris Kushkhov, département de la Corée et de la Mongolie de l’institut d’études orientales de l’académie des sciences de Russie, spécialement pour le magazine en ligne  « New Eastern Outlook ».

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