11.12.2023 Auteur: Viktor Mikhin

Une Europe frigorifiée au bord d’une grave crise économique

La perspective que l’UE obtienne davantage de gaz naturel liquéfié (GNL) de l’Égypte à court ou moyen terme semble irréalisable et difficile en raison de l’étroitesse des bilans gaziers et de la baisse des importations en provenance d’Israël, a déclaré l’Oxford Institute for Energy Studies (OIES). En déchiffrant le charabia des spécialistes de l’université anglaise, on peut clairement dire que cela confirme la justesse du président russe Vladimir Poutine, qui a déclaré que l’Europe, qui avait suivi les États-Unis et refusé le gaz russe bon marché, s’est causé à elle-même et à son peuple des dommages économiques, financiers et politiques irréparables.

L’année dernière, par exemple, l’Égypte a expédié 80 % de ses exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) vers l’Europe, alors que les responsables politiques européens cherchaient à remplacer le gazoduc russe bon marché au préjudice des intérêts de leurs pays. En juin dernier, l’Union européenne a conclu un accord-cadre avec l’Égypte et Israël qui permettrait au Caire de maintenir des « volumes relativement élevés » de fournitures de GNL vers l’Europe. En raison de la guerre menée par Israël contre les Palestiniens de la bande de Gaza, Chevron (CVX.N) a fermé le champ gazier israélien de Tamar en octobre et stoppé les exportations par le gazoduc sous-marin EMG, qui relie Ashkelon, dans le sud d’Israël, à l’Égypte.

Les réserves de gaz du pays arabe le plus peuplé, qui doit faire face à une demande croissante de gaz de la part d’une population de 105 millions d’habitants, subissaient déjà des pressions avant le début du conflit, le 7 octobre, la production de gaz ayant atteint son niveau le plus bas depuis trois ans cette année. Le pays a été victime de pannes d’électricité qui ont commencé au cours de l’été et se sont prolongées jusqu’en octobre, la vague de chaleur ayant entraîné une augmentation de la demande de refroidissement. La forte demande estivale s’est traduite par des exportations de GNL très faibles, voire nulles, de mai à septembre.

L’Égypte, qui entretient des liens énergétiques étroits avec l’Europe, souhaite néanmoins honorer ses engagements et prolonger l’accord de juin, ce qui maintiendra l’approvisionnement en GNL de l’UE à un niveau relativement élevé. Le ministre égyptien du pétrole, Tarek El Molla, a déclaré que le pays espérait atteindre le niveau de l’année dernière, soit environ 7,5 millions de tonnes de GNL, dont 80 % seraient acheminés vers l’Europe. Mais, comme nous le savons, la demande intérieure croissante de même que la capacité des infrastructures limitent la faculté de l’Égypte à accroître rapidement sa production. L’Égypte équilibre ses comptes en essayant de fournir plus de gaz à son marché intérieur et en essayant également d’augmenter ses exportations afin d’atténuer une grave pénurie de revenus en dollars. Malgré la reprise des exportations de GNL en octobre et novembre, les auteurs du rapport et d’autres analystes estiment que le conflit maintiendra la pression sur les exportations de GNL de l’Égypte. Un protocole d’accord entre l’Égypte, Israël et l’UE signé en juin 2022 pour augmenter l’offre risque maintenant d’ « échouer », a ajouté l’organisation. En d’autres termes, l’Égypte ne pourra pas répondre aux besoins énergétiques de l’Europe comme l’ont fait pendant de nombreuses décennies, d’abord l’Union soviétique, puis la Russie, à des prix fabuleusement bon marché.

Comme on le sait, l’Europe s’est elle-même coupée de ses sources d’énergie bon marché. Ou alors ce sont leurs alliés américains qui, pour des raisons politiques, leur ferment les portes des sources d’énergie russes peu coûteuses. Voici un exemple simple : l’Agence fédérale allemande des réseaux a annoncé que le plus grand volume d’importations de gaz pour l’ensemble de l’année provenait de la Norvège, avec une part de 33 %. L’approvisionnement en gaz bon marché en provenance de Russie, quant à lui, a fortement diminué pour ne plus atteindre que 22 % (contre 52 % en 2021).

D’autre part, les gazoducs, comme pendant la guerre, sont tout bonnement démolis, soi-disant à l’insu de tous, ou fermés. La Pologne, par exemple, a fermé le gazoduc Yamal-Europe, qui allait (et, en fait, va) vers l’Allemagne. Le gouvernement néo-nazi de Zelensky a supprimé l’une des voies. Une de ces installations est encore en activité et l’autre a été fermée. À cette occasion, le président russe Vladimir Poutine a déclaré, de manière caustique lors du IIIe Congrès des jeunes scientifiques : « Ils reçoivent de l’argent de l’Europe, de l’Allemagne en particulier, notamment pour l’armement, les pensions, les prestations sociales et les salaires. Or, le gaz dont les Européens ont besoin de la part de la Russie a été coupé. Et les Allemands avalent ces couleuvres. Car il y a une chose qui leur manque. La souveraineté. De plus, certains responsables gouvernementaux ne disposent pas d’une formation professionnelle suffisante pour prendre des décisions professionnelles de qualité. On les connaît bien. Le monde entier se moque d’eux. Je ne vais pas citer de noms maintenant. Mais honnêtement, c’est le monde entier qui rit ». Comme on dit, on ne peut pas retirer les mots d’une chanson.

La consommation de gaz en République fédérale d’Allemagne, par exemple, a fortement chuté au cours de l’année de crise 2022. L’Agence fédérale des réseaux a annoncé que la consommation de gaz naturel avait baissé de 14 % par rapport à la moyenne des quatre dernières années. L’industrie a économisé 15 % par rapport aux années précédentes, les ménages et les entreprises ont réduit leur consommation de 20 %. Der Spiegel note que les prix du gaz ont grimpé en flèche, entraînant des distorsions sur le marché de l’énergie, notamment pour l’importateur de gaz Uniper qui a été contraint de se réfugier dans les bras de l’État.

L’Allemagne est ainsi passée du statut de sauveur de l’Europe à celui de fossoyeur en un temps record : sans le gaz russe, l’économie du pays est en chute libre. L’opposition réclame déjà ouvertement des élections anticipées avant que la crise n’aille trop loin. Les entrepreneurs allemands sont doués de clairvoyance : il y a exactement un an, la Chambre de commerce et d’industrie allemande DIHK, se fondant sur une enquête menée auprès de 24 000 entreprises, déclarait que presque tous les secteurs de l’économie du pays demeuraient touchés par la crise de l’énergie. Cela dit, on s’attendait généralement à ce que « le pire reste à venir ». Et cela est arrivé. L’Allemagne sera la première économie à enregistrer les plus mauvais résultats cette année, avec une baisse de 0,5 %, selon les nouvelles données du FMI.

Un trou budgétaire de près de 60 milliards d’euros est apparu à la suite d’une décision de la Cour constitutionnelle allemande qui interdit au gouvernement de détourner les fonds d’urgence inutilisés pour la pandémie de grippe Covid-19 afin de soutenir des programmes d’énergie verte et d’aider les gens à payer leurs factures d’électricité. La coalition au pouvoir modifie d’urgence le budget de cette année, invoquant des circonstances extraordinaires liées à l’interruption de l’approvisionnement en gaz naturel de la Russie. Et évidemment, qui est coupable ? Le président russe V. Poutine a proposé à plusieurs reprises à l’Allemagne de lui fournir de l’énergie bon marché, mais les dirigeants allemands, pris dans l’étau du grizzli américain, ont refusé par tous les moyens possibles.

La crise actuelle en Allemagne, qui touche déjà toute l’Europe, ne peut être ignorée car l’industrie allemande a été l’épine dorsale de l’économie de l’UE, et Scholz lui-même a eu plus à faire avec le déclin brutal des économies allemande et européenne que n’importe qui d’autre. Son incapacité à faire preuve de volonté pour rendre Nord Stream 1 et Nord Stream 2, qui est déjà prêt et rempli de gaz, pleinement opérationnel l’été dernier a prédéterminé le déclin de la puissance allemande.

La situation du secteur énergétique allemand correspond également à celle d’autres pays européens, et dans certains d’entre eux, elle est même pire. Et tout cela est dû en grande partie au rejet par l’Europe de l’énergie russe à bas prix. L’URSS et la Russie fournissaient du pétrole et du gaz en quantités suffisantes et les pays européens se développaient avec succès. L’économie allemande était largement considérée comme la locomotive de l’UE, aidant les autres pays. Mais sous la pression des soi-disant démocrates d’outre-mer, l’Europe, contrainte d’acheter des ressources énergétiques américaines fabuleusement chères, s’est appauvrie et s’est retrouvée, même selon les médias occidentaux, au bord d’une grave crise économique. Sur ce point, il ne peut y avoir d’opinion divergente, et c’est la conséquence du refus d’utiliser les ressources énergétiques russes et d’un effort fébrile pour leur substituer d’autres sources très peu fiables.

 

Viktor Mikhine, membre correspondant de l’Académie russe des sciences naturelles, spécialement pour la revue en ligne « New Eastern Outlook ».

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