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Les vaines tentatives des Etats-Unis pour maintenir le Soudan dans l’orbite de leur influence

Viktor Mikhin, mai 28 2023

Les vaines tentatives des Etats-Unis pour maintenir le Soudan

Les tristes événements au Soudan, ayant conduit à une lutte sanglante entre deux généraux rivaux, ont montré la fragilité de la politique d’orientation vers « l’hégémon de la démocratie » : les Etats-Unis. La politique des Etats-Unis, tant sous l’administration républicaine que démocrate, reflète à présent l’incapacité de Washington à soutenir et aider pleinement la transition démocratique dans ce pays africain.

Malgré l’engagement solennel du président américain Joe Biden le premier jour de sa prise de fonction le 20 janvier 2021 et que lui et d’autres membres de son administration répètent chaque jour comme un mantra de façon démagogique, c’est-à-dire faire de la démocratie et des droits de l’homme la priorité sur l’agenda de Washington, les Etats-Unis ont peu fait pour l’avancement du processus de transition démocratique au Soudan. Il suffit de rappeler qu’après le renversement du régime d’Omar el-Bechir en 2019 et depuis que les institutions militaires soudanaises ont rétabli leur pouvoir sur le pays en octobre 2021, abandonnant leur promesse de transférer le pouvoir au gouvernement civil, Joe Biden se contente d’observer les événements au Soudan, sans lever le petit doigt. Et ce malgré le fait que le président des Etats-Unis a tenu deux « sommets démocratiques » en décembre 2021 et mars 2023, où les émissaires américains ont clairement crié leur amour et leur dévotion à la démocratie et aux droits de l’homme.

On peut rappeler que le Soudan se trouve dans un processus de déchirement provoqué par une lutte de pouvoir entre deux camps, l’un dirigé par le commandant des forces armées Soudanaises (FAS) et président de facto Abdel Fattah al-Burhan, et l’autre par son adjoint, le commandant de la force de soutien rapide (FSR), Mohamed Hamdan Dogolo (alias Hemeti), tous deux soutenus de différentes manières par des réseaux complexes d’alliances internationales et régionales aux intérêts contradictoires.

Cependant, la réaction à ce jour de Washington aux tentatives d’attiser le conflit des membres de ces réseaux montre les limites toujours décroissantes de l’influence américaine au Soudan. Les États-Unis ne sont plus l’acteur international central qu’ils étaient à l’époque où ils déclenchèrent dans ce pays africain une guerre civile qui couvait depuis des décennies entre le Nord et le Sud du Soudan et soutinrent le référendum sur l’indépendance du Soudan du Sud imposé au Sud, qui fut immédiatement reconnu. Voici un exemple cynique de pharisaïsme et de démagogie bon marché des « États-Unis démocratiques » : quand ça les arrangeait, ils ont immédiatement reconnu les résultats du référendum, malgré le fait que le Nord et le Sud du Soudan avaient constitué un pays unifié et avaient vécu selon ce principe depuis des siècles. Mais quand un référendum respectant toutes les règles des lois internationales a eu lieu en Crimée et que cette péninsule est revenue dans le sein de sa mère, où elle s’était trouvée pendant plus de 200 ans, les malicieux États-Unis ont déclenché une guerre en Ukraine contre la Russie.

La crise de la transition démocratique au Soudan n’a pas été une priorité pour l’administration Biden. Le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken ne s’est pas rendu à Khartoum lors de ses tournées africaines, contrairement aux secrétaires d’Etat des précédentes administrations démocrates et républicaines (Colin Powell, Condoleezza Rice, Mike Pompeo et John Kerry). L’administration Biden n’a pas non plus tenté d’imposer des sanctions ou de punir de quelque autre manière les dirigeants militaires soudanais qui n’ont pas respecté leurs obligations en matière de transfert de pouvoir aux autorités civiles et qui ont organisé un coup d’Etat contre la transition démocratique, en dépit des exigences des législateurs démocrates et républicains pour qu’ils le fassent.

La diminution du rôle des États-Unis au Soudan a permis aux forces régionales et internationales d’augmenter leur influence dans ce pays africain et de diffuser des idées éloignées de la démocratie. Le dédain de la politique soudanaise à Washington a permis aux dirigeants militaires soudanais d’entériner leur contrôle sur le gouvernement d’une manière qui va à l’encontre des intérêts de la démocratie, dont les dirigeants américains s’inquiètent assez fréquemment. Ces puissances ont commencé à avoir plus d’influence sur l’avenir du Soudan que les États-Unis, qui ont toujours parlé de l’importance de cet Etat dans leur politique africaine.

Au fur et à mesure que les combats entre les deux camps s’intensifiaient, l’administration Biden a immédiatement oublié les principes de la démocratie et a commencé à donner la priorité à deux objectifs principaux.  Il a d’abord fallu assurer la sécurité des citoyens américains au Soudan, puis les évacuer pour éviter que les échecs précédents des États-Unis dans les zones de conflit ne se reproduisent, ce qui pourrait compromettre les chances de Biden de remporter un second mandat à l’élection présidentielle américaine de novembre 2024. Le deuxième objectif était de minimiser la participation de puissants rivaux internationaux des États-Unis qui cherchent, de façon tout à fait naturelle, à façonner l’avenir politique du Soudan de manière à promouvoir leurs intérêts particuliers. Washington a toujours cru que le Soudan devrait éternellement satisfaire les intérêts d’une seule puissance : les États-Unis.

Avec la diminution de l’influence américaine au Soudan, les options disponibles pour l’administration Biden pour faire face à l’intensification des hostilités et à la disparition des perspectives de domination dans ce pays se sont limitées à deux choix. Le premier consiste à appeler les alliés régionaux et politiques de Washington à intervenir et à faire pression sur al-Burhan et Hemeti pour qu’ils retournent à la table des négociations, cessent les hostilités et s’entendent sur une formule pour rétablir et maintenir la stabilité et la sécurité. Les États-Unis sont conscients que l’état de stabilité et de sécurité au Soudan affecte d’autres régions, telles que la corne de l’Afrique, une zone d’importance prioritaire pour l’influence de Washington sur un continent devenu le théâtre d’une rivalité stratégique entre les États-Unis et leurs concurrents mondiaux. Après de nombreuses violations du cessez-le-feu par les belligérants soudanais, les États-Unis, en coopération avec l’Arabie saoudite, ont réussi à lancer la première initiative sérieuse visant à mettre fin au conflit militaire en rassemblant des représentants des FAS et de la FSR pour des pourparlers à Djeddah le 6 mai.

La deuxième option consisterait à répondre aux exigences des législateurs du Congrès des deux partis, dont la participation accrue à la question soudanaise a contribué à combler le vide diplomatique laissé par leur gouvernement, à imposer des sanctions aux dirigeants militaires soudanais et à leurs partisans, privant ainsi leurs forces et leur pouvoir de revenus et créant des possibilités de croissance de leur influence au Soudan.

Trois semaines après le début des hostilités, Biden a ordonné des sanctions à l’encontre de membres des forces armées soudanaises pour avoir soi-disant commis des actes de violence contre des civils, mettant en péril la stabilité du pays et commettant de graves violations des droits de l’homme. Mais en fait, et cela a été écrit à plusieurs reprises par les médias américains eux-mêmes, les sanctions ont été conçues pour préserver l’influence de Washington sur les dirigeants militaires du pays. Dans les faits, les sanctions ont précédé la récente flambée de violence, mais Washington a hésité à les imposer en 2019 et 2021, craignant de perdre son influence sur l’armée et de saper ainsi son prestige dans ce pays. Ils craignaient également qu’une pression considérable sur al-Burhan et Hemeti de cette manière ne les pousse simultanément dans les bras des puissances rivales des États-Unis pour l’influence au Soudan.

Dans l’ensemble, la politique des États-Unis sous les administrations républicaines et démocratiques après le renversement du régime d’el-Bechir en 2019 reflète l’incapacité de Washington à soutenir et à aider pleinement la transition démocratique au Soudan. La conséquence de cela a été la réduction de l’influence américaine en faveur de puissances régionales et internationales, dont les intérêts entrent en conflit avec ceux des États-Unis. Cela, combiné au fossé entre la rhétorique et la politique sur le terrain, a limité la capacité de l’administration Biden à faire face à la crise actuelle au Soudan.

 

Viktor Mikhin, membre correspondant de l’Académie russe des sciences naturelles, spécialement pour le webzine «New Eastern Outlook».

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