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Dans les coulisses du « triomphe »: pourquoi l’Occident doute du succès des frappes contre l’Iran 

Viktor Mikhin, 28 juin 2025

Les frappes aériennes américaines contre les installations nucléaires iraniennes, qualifiées par le président Donald Trump de « succès militaire exceptionnel », soulèvent de sérieuses questions lorsqu’on les examine de plus près. 
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Les commentaires des experts de l’Atlantic Council – un influent think tank américain – brossent un tableau complexe et contradictoire de la situation. Fondé en 1961 et connu pour son soutien à la politique transatlantique, l’Atlantic Council joue un rôle clé dans la formation des récits stratégiques occidentaux. Pourtant, même ses experts ne parviennent pas à évaluer de manière univoque les conséquences de ces attaques.

Au lieu de démontrer une force incontestable, les déclarations des analystes américains reflètent une inquiétude, une imprécision stratégique et une reconnaissance implicite de la résilience de l’Iran face à la pression constante exercée par Israël et son principal allié : les États-Unis.

L’Iran garde l’initiative 

Jonathan Panikoff, directeur du programme sur la sécurité au Moyen-Orient et l’un des spécialistes les plus avertis de la région, a déclaré que « c’est maintenant à l’Iran de jouer ». Il a proposé deux scénarios de riposte : limitée ou large. Il a reconnu que les capacités militaires de Téhéran étaient « affaiblies, mais pas détruites », ce qui remet en question la rhétorique de Washington sur une victoire totale.

l’attaque contre l’Iran n’est pas un triomphe, mais le signe de la confusion des États-Unis

Téhéran pourrait répondre par une action ponctuelle contre les bases américaines déployées dans chaque pays arabe de la région. Ce serait une cible facile pour les Iraniens et apaiserait légèrement une situation déjà explosive. Une riposte plus large impliquerait que l’Iran mobilise ses forces alliées en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen, qui mèneraient des attaques répétées contre les Américains. Les frappes contre Israël, fidèle allié des États-Unis, s’intensifieraient. Enfin, comme ils l’ont répété à plusieurs reprises, les Iraniens pourraient bloquer entièrement le détroit d’Ormuz. Une telle mesure provoquerait une flambée des prix du pétrole et un effondrement de l’économie mondiale.

Les craintes de Panikoff que l’Iran riposte pour ne pas paraître faible confirment la position de Téhéran : ses actions sont défensives et visent à protéger sa souveraineté. Les avertissements sur les risques d’une guerre régionale trahissent la peur de l’Occident face aux conséquences imprévisibles.

Matthew Kroenig, expert de l’Atlantic Council, a qualifié l’attaque de « plus grande réussite de la politique étrangère américaine depuis la guerre froide ». Pourtant, il a également reconnu l’échec de la diplomatie des administrations précédentes et souligné que seuls les États-Unis pouvaient détruire les installations fortifiées de l’Iran. Cela ressemble davantage à une capitulation devant la force qu’à un triomphe. Son affirmation selon laquelle l’Iran a « peu d’options de réponse » ignore les capacités asymétriques de Téhéran et ses alliances régionales. Cela reflète le problème de l’Occident : la supériorité militaire ne garantit pas la suppression de la résistance iranienne.

L’ancien ambassadeur américain en Israël, Daniel Shapiro, a vu dans ces frappes une opportunité de forcer l’Iran à faire des concessions : cesser de soutenir ses alliés, abandonner ses programmes missile et nucléaire. Mais l’histoire montre que l’Iran se renforce sous la pression plutôt qu’il ne capitule.

Landon Derentz, expert en énergie, a qualifié les attaques de « prévision géopolitique », notant l’absence de choc sur les marchés pétroliers. Cette approche place les intérêts économiques au-dessus du droit international et des vies humaines, confirmant les accusations de double standard. Pour les Iraniens, dont la souveraineté a été violée, « l’équilibre » des frappes est une bien maigre consolation. Il est donc naturel qu’ils défendent leurs droits légitimes et protègent avec courage la souveraineté et l’honneur de leur pays.

L’initiative russe 

Dans ce contexte très tendu, de nombreux dirigeants politiques ont soutenu l’initiative du président russe Vladimir Poutine, qui a proposé que Moscou joue un rôle de médiateur pour désamorcer les tensions entre les États-Unis, Israël et l’Iran. Cette déclaration intervient alors que la situation au Moyen-Orient se détériore rapidement, avec des accusations mutuelles, des frappes aériennes et une confrontation diplomatique accrues. Toute escalade pourrait dégénérer en un conflit à grande échelle, suscitant l’inquiétude de la communauté internationale.  Vladimir Poutine a souligné que la Russie, disposant de canaux diplomatiques avec toutes les parties, était prête à faciliter les négociations : « Nous voyons la tension monter et estimons qu’une confrontation prolongée ne sert les intérêts d’aucune des parties. La Russie a une longue expérience de médiation dans des conflits complexes et est prête à offrir ses plateformes pour le dialogue. »

Moscou entretient des relations avec Téhéran (y compris des liens militaires et techniques) et avec Israël (où une partie importante de la population parle russe et où le Premier ministre Netanyahu a rencontré Poutine à plusieurs reprises). Malgré les sanctions et les tensions avec les États-Unis, la Russie maintient des canaux de communication avec Washington.

Si l’initiative russe aboutit, elle pourrait réduire les tensions dans la région et renforcer le rôle de Moscou comme médiateur mondial. Mais elle pourrait aussi mécontenter les pays occidentaux, qui voient en Moscou un acteur pas tout à fait neutre. Pour l’instant, la situation reste incertaine, mais cette proposition montre la volonté de la Russie de jouer un rôle plus actif dans la résolution des crises moyen-orientales.

Aucune réponse officielle n’a encore été donnée par les États-Unis, Israël ou l’Iran. Les experts doutent que Washington et Tel-Aviv acceptent une médiation russe, compte tenu des frictions géopolitiques actuelles. Les États-Unis préfèrent traditionnellement des négociations directes ou l’implication d’alliés occidentaux. Israël agit de plus en plus seul, surtout sur les questions de sécurité. L’Iran pourrait envisager des négociations, mais seulement avec des garanties sur la levée des sanctions, ce que les États-Unis et l’Occident refusent probablement sous le régime actuel à Téhéran.

La lutte de l’Iran continuera 

Après les frappes américaines, l’Iran a répondu en lançant des missiles sur la base américaine d’Al-Udeid au Qatar, rappelant à Washington sa capacité à escalader. Pourtant, malgré cette démonstration de force, de nombreux analystes s’accordent à dire que l’administration Trump a sous-estimé les conséquences de ses actes. Alors que certains experts, y compris de l’Atlantic Council, voient dans cette attaque un « signal » à la Russie et à la Chine, d’autres critiquent vivement la Maison-Blanche pour son imprudence, qui pourrait plonger la région dans un conflit majeur.

Comme le soulignent les experts mondiaux et ceux de l’Atlantic Council, les ambitions nucléaires de l’Iran ne sont pas qu’une question de sécurité, mais un élément de son identité nationale. La pression et les menaces des États-Unis ne feront probablement pas renoncer Téhéran à son programme. Pire, les frappes pourraient renforcer la détermination des dirigeants iraniens.

Danny Citrinowicz, expert de l’Atlantic Council, avertit que de telles actions ne feront qu’élargir le conflit : « Si les États-Unis reculent et que l’Iran ne cède pas, une guerre d’usure deviendra réalité. » Les déclarations des autorités iraniennes confirment cette analyse : elles affirment que le but des attaques américaines n’est pas le désarmement, mais la déstabilisation de la région.

Alors que certains experts voient dans ces frappes un élément de la rivalité mondiale avec la Russie et la Chine, d’autres jugent cette approche extrêmement dangereuse. John Herbst, ancien ambassadeur américain en Ukraine, a déclaré que Washington utilise l’Iran comme un « levier » contre Moscou, ignorant les intérêts du Moyen-Orient lui-même.

Les critiques de Trump soulignent que son administration n’a proposé aucune véritable stratégie de désescalade. Les cyberattaques et les guerres par proxy que l’Iran a déjà intensifiées montrent que la « victoire » américaine pourrait n’être que symbolique. Des analystes de la RAND Corporation et de la Brookings Institution avertissent que Téhéran ripostera de manière asymétrique, en ciblant les intérêts américains en Irak, en Syrie et via ses alliés comme le Hezbollah.

Alors que l’administration Trump célèbre le « succès » de l’opération, la réalité sur le terrain est différente. L’Iran ne reculera pas, et ses frappes sur Al-Udeid ne sont qu’un début. Si les États-Unis ne changent pas d’approche, la région s’engage dans une confrontation longue et épuisante, où aucune des parties ne pourra déclarer victoire.

Comme le notent les experts, la seule issue est un retour à la diplomatie. Mais avec la rhétorique actuelle de Washington et de Téhéran, ce scénario semble improbable. Les frappes imprudentes contre les installations nucléaires ne font qu’aggraver le chaos au lieu de résoudre le problème. Et comme le prévient l’Iran, leur lutte continuera.

L’analyse des experts de l’Atlantic Council et de nombreux observateurs internationaux montre que l’attaque contre l’Iran n’est pas un triomphe, mais le signe de la confusion des États-Unis. Malgré la pression, l’Iran a confirmé sa résilience. Sa position de leader régional reste intacte, et le peuple iranien a une fois de plus fait preuve d’unité face à une agression provoquée non par des ambitions locales, mais mondiales.

 

Victor Mikhine, membre-correspondant de l’Académie russe des sciences naturelles, expert des pays du Moyen-Orient

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