La guerre que mène Donald Trump contre les universités américaines mine la liberté académique, fait fuir les talents internationaux et affaiblit le leadership scientifique et intellectuel des États-Unis.
Lors de son second mandat, le président Donald Trump a lancé une offensive agressive contre l’enseignement supérieur américain, s’en prenant aux universités et aux étudiants exprimant des opinions dissidentes en matière de politique étrangère, notamment sur Israël et la Palestine.
Cette répression inclut des mesures punitives à l’encontre des établissements autorisant des manifestations pro-palestiniennes, ainsi que la révocation de visas d’étudiants ayant critiqué Israël, assimilant erronément toute critique de cet État à de l’antisémitisme. Influencées par les lobbys pro-israéliens, ces actions sapent la liberté académique et compromettent la réputation mondiale des universités américaines.
Les conséquences de cette politique sont profondes :
Révocation de visas : Selon le New York Post, l’administration Trump a déjà « agressivement » révoqué des visas pour des étudiants chinois, en particulier dans les domaines STEM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques), au nom de la sécurité nationale. Cette mesure perturbe l’arrivée de talents internationaux qui ont historiquement renforcé l’innovation technologique américaine. Le secrétaire d’État Marco Rubio a déjà annulé plus de 4 000 visas, toutes nationalités confondues. Il cible maintenant les quelque 300 000 visas annuels attribués aux étudiants chinois. À noter : les étudiants indiens sont désormais plus nombreux aux États-Unis que les Chinois.
Réduction du financement : De sévères coupes dans les budgets fédéraux ont contraint des institutions prestigieuses comme Harvard ou Johns Hopkins à geler les recrutements et à procéder à des licenciements massifs. Johns Hopkins, par exemple, a annoncé selon The Guardian la suppression de plus de 2 000 postes suite à une réduction de 800 millions de dollars du financement de l’USAID.
Menaces sur la liberté académique : Le décret présidentiel 14188, censé lutter contre l’antisémitisme, impose une surveillance accrue des étudiants et personnels étrangers, en particulier ceux participant à des manifestations sur les campus contre la politique israélienne. Ce décret a conduit à la détention et à la menace d’expulsion d’étudiants comme Mahmoud Khalil, activiste palestinien à l’université Columbia, suscitant de vives inquiétudes quant au respect du Premier Amendement.
Des conséquences plus larges
Ces politiques ont des répercussions que l’administration Trump semble ignorer :
Fuite des cerveaux : Les pays européens recrutent activement des chercheurs basés aux États-Unis touchés par les coupes budgétaires, leur offrant des opportunités attractives à l’étranger. Une coalition de 12 gouvernements européens met en place des stratégies pour attirer ces universitaires, risquant d’entraîner une perte massive de talents pour les États-Unis.
Impact économique : Les étudiants internationaux rapportent plus de 40 milliards de dollars par an à l’économie américaine. Des politiques de visas restrictives menacent directement cette manne financière, accentuant la pression budgétaire sur les universités.
Leadership technologique en péril : Selon Politico, 70 % des employés hautement qualifiés de la tech à Silicon Valley sont étrangers — et parmi eux, les Chinois forment le deuxième plus grand groupe après les Indiens, d’après une étude menée par un think tank régional. Actuellement, 18 % de ces employés sont nés en Chine.
Érosion de l’indépendance académique : En assimilant toute critique d’Israël à de l’antisémitisme et en sanctionnant les institutions concernées, l’administration Trump compromet la neutralité et l’indépendance de la recherche universitaire.
L’Europe, nouvel eldorado intellectuel ?
Alors que les États-Unis se referment et sabrent les budgets de l’enseignement supérieur, l’Europe saisit l’opportunité. La Commission européenne, en collaboration avec plusieurs États membres, a lancé des initiatives coordonnées pour attirer les chercheurs et professeurs américains déçus.
L’Allemagne, la France, les Pays-Bas et d’autres pays offrent des visas accélérés, des bourses de recherche généreuses et des postes titularisés à ces talents exilés. Selon Business Standard, une coalition de 12 pays européens mène une opération de “recrutement ciblé” dans les universités américaines en crise.
Politico rapporte par ailleurs une forte hausse des candidatures d’universitaires américains aux programmes Horizon Europe et aux subventions avancées de l’ERC. La Commission européenne vient également de lancer le programme « Choose Europe for Science ».
Les universités européennes bougent vite : ETH Zurich a ouvert une voie spécifique de bourses pour chercheurs américains ; Sciences Po Paris a élargi ses chaires d’accueil et cible activement les enseignants américains ; l’Université de Copenhague a mis en place un programme « Refuge académique » pour soutenir ceux menacés par la répression politique. Ces efforts dessinent une stratégie européenne claire : transformer la fuite des cerveaux américaine en moteur de sa propre ascension intellectuelle.
L’ascension académique de la Chine
Face aux politiques américaines de repli, la Chine, elle aussi, avance ses pions. Et elle n’a pas attendu les dernières mesures restrictives de Trump : cela fait plusieurs années que Pékin met en œuvre des politiques ambitieuses pour attirer les chercheurs internationaux, notamment américains.
Initiatives gouvernementales :
Thousand Talents Plan : ce programme emblématique, et ses successeurs, propose des salaires compétitifs, des financements généreux et des installations à la pointe de la technologie pour séduire les chercheurs de haut niveau.
ICPIT (Programme international de coopération pour les talents innovants) : géré par le China Scholarship Council, il encourage la recherche interdisciplinaire entre universités chinoises et partenaires étrangers.
Réforme du financement de la recherche : En 2024, la Chine a révisé les règles du Fonds national des sciences naturelles pour soutenir plus fortement la recherche fondamentale, les jeunes chercheurs et la coopération internationale, rendant l’environnement plus attractif.
Mais l’objectif n’est pas uniquement de remplir des postes : Pékin cherche à renforcer sa stature scientifique mondiale. En attirant les meilleurs chercheurs, elle entend stimuler l’innovation, accroître la production scientifique et affirmer son leadership en matière de technologies. Comme l’a titré The Economist : « La Chine est devenue une superpuissance scientifique ».
Conclusion
L’approche de l’administration Trump envers l’enseignement supérieur — fondée sur la répression des voix dissidentes, la fermeture aux talents étrangers et l’assimilation idéologique de la critique à la trahison — met en péril les principes mêmes de liberté académique et d’ouverture hérités des Lumières. Ces politiques ne sapent pas seulement la réputation mondiale des universités américaines, elles menacent durablement l’innovation et la prospérité du pays.
En réprimant les critiques d’Israël, en restreignant les visas étudiants et en compromettant l’indépendance académique, Trump sabote les valeurs fondatrices, les universités et la science des États-Unis — tout en renforçant leurs rivaux, comme la Chine et l’Union européenne. L’Amérique, jadis phare de la connaissance, accélère ainsi son propre déclin intellectuel.
Ricardo Martins – Docteur en sociologie, spécialiste des politiques européennes et internationales ainsi que de la géopolitique