Un mémo diplomatique allemand divulgué met en garde contre une « perturbation maximale » sous le second mandat de Trump : les principes démocratiques et l’indépendance institutionnelle seraient menacés.
« Les principes démocratiques fondamentaux et les mécanismes de contrôle et d’équilibre seront largement sapés. »
L’ambassadeur d’Allemagne aux États-Unis, Andreas Michaelis, a exprimé une vive inquiétude face aux implications d’un retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Un document confidentiel obtenu par Reuters révèle que Berlin craint que le second mandat de Trump n’entraîne un démantèlement délibéré des normes démocratiques aux États-Unis.
Daté du 14 janvier et adressé à la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, le mémo décrit l’agenda de Trump comme une initiative de « perturbation maximale » visant une « redéfinition de l’ordre constitutionnel – une concentration maximale des pouvoirs entre les mains du président, au détriment du Congrès et des États fédérés ».
L’ambassadeur allemand met en garde contre les risques pesant sur l’indépendance du législatif, des forces de l’ordre et des médias, avertissant que ces institutions pourraient être réorientées en outils de contrôle politique. Le document accuse également Trump de vouloir accorder un pouvoir de « co-gouvernance » aux grandes entreprises technologiques.
La réponse prudente de Berlin
Le ministère allemand des Affaires étrangères a adopté un ton mesuré en public, affirmant sa volonté de coopérer avec la nouvelle administration américaine. Cependant, le mémo divulgué reflète une évaluation interne beaucoup plus préoccupante.
Lors d’un entretien sur la chaîne publique ZDF, la ministre Annalena Baerbock a défendu les propos de Michaelis, affirmant que les préoccupations de l’ambassadeur concordaient avec les intentions ouvertement exprimées par Trump. « Il fait son travail, et Trump lui-même a clairement annoncé bon nombre de ces intentions », a-t-elle déclaré.
Le gouvernement allemand, dirigé par le chancelier sortant Olaf Scholz, a évité toute critique publique directe à l’encontre de Trump mais reconnaît les tensions potentielles pour les relations transatlantiques. Le premier mandat de Trump avait déjà été marqué par des différends sur les dépenses de défense au sein de l’OTAN et les tarifs commerciaux, et Michaelis prévient que les enjeux sont désormais encore plus élevés.
Un rôle clé pour la justice
Le mémo de Michaelis souligne la dépendance de Trump envers le système judiciaire pour mettre en œuvre ses politiques. Bien que la Cour suprême des États-Unis ait récemment élargi les pouvoirs présidentiels, Michaelis note que même les critiques les plus acerbes estiment que la Cour empêcherait les scénarios les plus extrêmes.
Cependant, l’ambassadeur met en garde contre l’exploitation par Trump de failles juridiques pour contourner les contraintes, y compris l’invocation d’une « insurrection » ou d’une « invasion » pour justifier des déploiements militaires intérieurs. Ces actions mettraient à l’épreuve les limites de la Posse Comitatus Act de 1878, qui restreint l’implication de l’armée dans l’application de la loi.
Inquiétudes concernant les Big Tech et les médias
Le mémo exprime des préoccupations supplémentaires concernant les liens de Trump avec le magnat de la technologie Elon Musk. Il souligne l’implication des grandes entreprises technologiques, que Michaelis affirme être susceptibles d’obtenir un pouvoir de « co-gouvernance ».
Michaelis accuse Trump de menacer les médias critiques avec des poursuites judiciaires, des inculpations pénales et des révocations de licences, tandis que Musk est soupçonné de manipuler les algorithmes et de bloquer les voix dissidentes :
« Les principes démocratiques fondamentaux et les mécanismes de contrôle et d’équilibre seront largement sapés, le législatif, les forces de l’ordre et les médias seront privés de leur indépendance et utilisés comme bras politique ; les Big Tech se verront accorder un pouvoir de co-gouvernance, » indique le mémo.
Michaelis met en garde contre une éventuelle « redéfinition du Premier Amendement », suggérant que l’alliance Trump-Musk pourrait éroder l’indépendance des médias.
Les comportements de Musk ont déjà suscité des critiques à Berlin. Ses soutiens publics au parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) avant les élections nationales du mois prochain ont alimenté les craintes d’ingérence étrangère. Bien que certaines agences gouvernementales aient quitté la plateforme de Musk, le gouvernement fédéral y reste actif.
Contexte historique et implications futures
Les inquiétudes de l’Allemagne ne sont pas sans précédent. Le premier mandat de Trump avait tendu les relations transatlantiques, notamment sur les questions commerciales et sécuritaires. Le nouveau mémo souligne la crainte que le second mandat de Trump ne représente un défi encore plus important pour la stabilité internationale et la gouvernance démocratique.
Michaelis conclut en soulignant les conséquences potentielles d’une inaction face à ces développements : « Si l’Allemagne a sous-estimé les implications plus larges des politiques de Trump lors de son premier mandat, le faire maintenant pourrait s’avérer périlleux. »
Cependant, craignant des représailles de Trump – y compris un éventuel retrait des troupes américaines d’Allemagne (pour Trump, toutes les possibilités sont ouvertes) – les avertissements de Michaelis peinent à trouver un écho à Berlin.
Ricardo Martins – Docteur en sociologie, spécialiste des politiques européennes et internationales ainsi que de la géopolitique